Description

[Extrait]
Que peut-on encore écrire sur la Méditerranée à quelques jours de l’an 2000 ? La culture qui nous renvoie à ses rivages est-elle encore notre culture ? La mythologie qui nous ramène à Œdipe, ou à Sisyphe - l’amour de la mère et l’éternel recommencement - est-elle encore notre mythologie ? Sommes-nous encore les enfants de la Mère Méditerranée, alors que nous avons oublié le grec pour apprendre l’anglais ? Pourtant, la rêverie sur les mères du Sud semble encore conserver tout son pouvoir de séduction ; serait-ce parce que les mères du Sud sont plus possessives que les autres ?
Il faut sans doute commencer par un éloge, pour décliner notre identité de méditerranéens, et faire entendre la voix du poète :
"Quant à moi, je reviendrai donc à ma Beauté première.
Pour ceux qui sont nés non loin de la Méditerranée, pas de doute : la Beauté existe. Et quelle folie d’habiter loin d’elle ! Quelle folie, quelle absurdité de s’en exiler !
C’est celle de la Fontaine de Nîmes, celle du moindre figuier. Celle du moindre cabanon à outils dans une vigne, non loin parfois d’un pin, d’un pin parfois parasol. C’est la mer scintillant comme un tesson de mosaïque entre les oliviers.
C’est la grandeur rose et maïs des choses de la statuaire et de l’architecture et des inscriptions mythiques sous le soleil.
Nous n’avons pas d’autre projet existentiel que de nous en flatter et à propos de n’importe quoi la dire, en faire une statue pour vivre entre ses genoux." [François Ponge, Pour un Malherbe, Gallimard, 1965, pp. 255-256.]
Le paysage méditerranéen nous invite à revenir à la Beauté première, à la source, là où tout a commencé. Revenir à Ulysse, à celui qui a créé la Méditerranée (et notre littérature), et qui ne cesse de réapparaître même dans les œuvres des écrivains de notre siècle, chez Giono (Naissance de l’Odyssée), chez Roblès, chez Derek Walcott et chez bien d’autres encore.
Sommes-nous restés de bons fils de cette mère Méditerranée ? Ne nous sommes-nous pas irrémédiablement éloignés d’elle ? L’approche du troisième millénaire nous donne l’occasion de faire le point sur ce sujet. Où en sommes-nous avec la Méditerranée ? De toutes façons, comme l’écrit François Livi, « on ne refuse pas une visite à sa mère. »
[...]
Les études rassemblées ici expriment d’abord cette séduction de la Méditerranée, et l’interrogent. Brigitte Plichon-Mauger nous rappelle que la mer des Anciens n’est pas maternelle ; c’est une mer dangereuse, peuplée de monstres, étroitement liée à la mort.
Nous avons surtout voulu revenir, une fois encore, sur l’ancrage méditerranéen de la littérature française. Sans doute doit-on distinguer chez les écrivains français les méditerranéens de ceux qui ne le sont pas. Les écrivains nés près de la Méditerranée : Valéry, Bosco, Audiberti, Roblès, Camus, Cohen ; et ceux qui ont subi l’attraction méditerranéenne : Cocteau, Colette, Morand, Mandiargues. Les convertis, en quelque sorte. Et parmi les seconds, les Parisiens qui aiment le Sud parce qu’il les affranchit : Gide, Montherlant. Les choses ne sont pourtant pas si simples ; les Méditerranéens ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Le cas de Giono, qui certes aime la Provence, mais comme Swann aimait Odette - c’est tout dire - et qui lui préfère l’Écosse, est à cet égard exemplaire. Dans une lettre, il n’hésite pas à fustiger « l’oblomovisme » des Provençaux, même s’il célèbre par ailleurs, mais avec beaucoup d’humour, la civilisation de l’huile... Il y a enfin les allergiques absolus, ceux qui estiment, avec Céline, que « la France n’est latine que par raccroc, par hasard, par défaites ; en réalité, elle est celte, germanique pour les trois quart ». Décidément, la littérature ne nous aide guère pour définir notre identité de Méditerranéens...

Table des matières

Plan
Éloge
Séduction
Réduction : mare royale ou mère morte
Violences
Nature ou Culture ? Le dialogue Nord/Sud
La mer vivante : flux et reflux

Titre

Méditerranée : la bonne mère

Titre Alternatif

Quelques réflexions sur la Méditerranée, la littérature et l’Europe

Éditeur

Babel, 2 | 1997, pp. 7-15

Date

1997

Langue

Source

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André-Alain Morello, « Méditerranée : la bonne mère », Babel [En ligne], 2 | 1997, mis en ligne le 13 mai 2013, consulté le 18 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/babel/2789 ; DOI : https://doi.org/10.4000/babel.2789

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