Trieste, la cité des écrivains
Description
[Extrait]
Pasta et strudels
« Trieste, ce n'est pas une ville, on a l'impression d'être nulle part », disait Hermann Bahr. Nulle part ou partout ? Le foisonnement des lieux de culte plaide pour le côté Babel de bord de mer. La cathédrale de San Giusto, plantée sur la colline capitoline, le coeur historique de la ville, domine pour rappeler la prééminence de l'Eglise catholique, apostolique et romaine. Mais elle a laissé s'épanouir l'église San Spiridione (Serbes orthodoxes) ; le temple San Nicolo dei Greci (Grecs orthodoxes) ; la basilique San Silvestro (communauté vaudoise) ; le temple San Michele (anglicans) ; la synagogue de la via San Francesco, l'une des plus grandes d'Europe. Un esprit ordonné comme Paul Morand _ dont les cendres reposent sur une des collines de la ville _ ne pouvait que s'alarmer de cette profusion : « Quel sera le sort des âmes de ces divers cimetières qui divisent les morts comme les religions ont séparé les vivants ? »
Ville de « nulle part », Trieste ? Scipio Slataper (1881-1915), autre écrivain du cru, a ramené le débat à de plus justes proportions : « C'est, disait-il, la ville du « si », du « ja » et du « da » ». La lecture des menus lui donne raison. La « pasta » fait bon ménage avec les « capuzi grabi » (choucroute), les « strucoli » (strudels) et les « palatchinken » (crêpes au chocolat). Le raifort se mêle au cumin et au paprika, le « licof » (un pot entre amis en allemand)) côtoie l'« osmizza » (l'équivalent slovène de « trattoria »). C'est Claudio Magris _ écrivain et universitaire, spécialiste italien de la littérature allemande _, Triestin ayant étudié à Turin, qui a le mieux défini la ville : « (...) Un collage où le temps ne guérit pas les blessures, où tout est présent, ouvert et âpre, où tout coexiste : empire hasbourgeois, fascisme en 1945, nostalgies impériales et royalistes, nationalisme et autonomisme, patriotes aux noms de familles slaves et vice versa, Slovènes courroucés et libéraux nationaux obsédés par les six fuseaux horaires du monde étranger qui commence aux portes de la ville, souvenirs de l'exode istrien et indifférence pour ses victimes, sagesse butée de la Mitteleuropa juive, astuce timide de la Slovénie, intelligence épique et tranquille du Frioul, culte de l'italianité qui reproche au pays de ne pas être la véritable Italie et de ne pas comprendre l'amour que les Istriens lui portent. » La liste est longue, mais qu'elle est belle : tout y est.
Collection
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Trieste (Italie) |
Magris, Claudio (1939-....) |
Italie |
20e siècle |
Titre
Trieste, la cité des écrivains
Créateur
Éditeur
Les Echos
Date
12/12/2003
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