Le bonheur de peindre au soleil de la Méditerranée
Description
Le Midi : source infinie d'inspiration pour les peintres.
Les années qui 1880 suivirent allaient encore accentuer la désintégration du groupe impressionniste, ce mouvement qui avait jadis pris son essor dans la forêt de Fontainebleau, dans les allées du Salon des refusés, dans les brasseries et à la terrasse du café Guerbois.
Les concepts qui s'étaient formés à ces différentes sources étaient apparus dans toute leur déconcertante nouveauté lors de la première grande exposition impressionniste de 1874. Moins de vingt ans plus tard, quand la huitième et dernière exposition fermera ses portes en 1886, Monet et ses amis vont s'éloigner sans regret, chacun choisissant alors de travailler de son côté.
Si leur effort commun appartenait désormais au passé, une nouvelle génération entreprenait déjà de poursuivre la lutte pour des idées nouvelles. Le tournant du siècle sera donc l'histoire parallèle de deux générations: l'aînée, toujours en pleine vigueur et confiante dans ses forces, et la plus jeune, qui devait encore prouver toutes ses possibilités. Tandis que l'audace était souvent du côté des nouveaux, l'expérience restait l'apanage des anciens.
Quelle est alors la situation? Gauguin était parti pour la Martinique, Renoir exposait ses Baigneuses, fruit de plusieurs années de recherche, Monet commençait à vendre ses toiles un bon prix. Van Gogh avait quitté Paris pour le Midi de la France où il espérait retrouver les couleurs de Delacroix, le contour net des estampes japonaises qu'il collectionnait et les paysages qu'il avait admirés dans les toiles de Cézanne. Il écrit à son frère Théo: «Au lieu de chercher à rendre exactement ce que j'ai sous les yeux, je me sers de la couleur de manière arbitraire, pour exprimer fortement mes impressions.» Comme en écho, Gauguin écrit à Vincent: «J'utilise une couleur assez loin de la nature, mais plus proche de mes sentiments.»
Ce rôle primordial accordé à la couleur, en liaison avec les émotions du peintre comme composantes picturales, se reconnaîtra dans le fauvisme, ce «pot de peinture jeté à la figure du public», selon l'expression du critique Camille Mauclair. Le mouvement devra beaucoup à l'art de Van Gogh à partir de 1888, quand il quitte Paris pour Arles. Il prend le contre-pied de l'impressionnisme simplement en en inversant les termes: l'objectif de Monet, Renoir et les autres était de retranscrire sur la toile les sensations qu'ils recevaient du monde extérieur. Celui de Van Gogh, à l'inverse, sera de faire partager, via la toile, ce qu'il ressent (Champ de blé ; Vue sur Arles).
La rétrospective de Vincent au Salon des indépendants de 1905 sera une révélation pour les jeunes peintres fauves qui adhèrent à l'autonomie de la couleur: Matisse et Derain, qui travaillent ensemble à Collioure, exécutent les premières toiles aux couleurs pures, puissantes, stridentes mises en contraste les unes avec les autres (Derain, Les Faubourgs de Collioure). Friesz et Braque, qui se retrouvent durant l'été 1907 à La Ciotat et à l'Estaque (Friesz, Cassis). Dufy, qui adhère au groupe dès 1905 (Paysage de Provence). Comme Van Gogh,
Gauguin va s'opposer au flou de l'impressionnisme en introduisant des aplats de couleurs vives qui, par leur simplification, influenceront à la fin du siècle le mouvement nabi (Bonnard, Le Cannet) puis se retrouveront dans le jeu abstrait des formes et des couleurs. A cette révolution par la couleur s'oppose la révolution par la forme qui découle de la leçon de Cézanne, considéré avec Van Gogh comme le père tutélaire de l'art moderne. Ils se répondent lorsque l'on aborde la question débattue en peinture depuis le XVIIe siècle et toujours présente dans les préoccupations des artistes: la ligne est-elle plus importante que la couleur? Ce qui revient ici à s'interroger sur la manière dont les peintres modernes ont regardé tantôt du côté de Van Gogh, tantôt du côté de Cézanne pour trouver leur propre voie.
«Je n'en suis qu'au début de mes recherches», disait Cézanne, deux ans avant sa mort
Cézanne reprochait au mouvement impressionniste de réduire le rôle de l'artiste à la pure vision matérielle, de gommer la part de l'intelligence créatrice en faisant de la peinture un art imitatif. Il apparaîtra vite comme le principal maillon entre l'impressionnisme et la peinture du début du XXe siècle. Pour lui, la toile du peintre n'est plus le lieu où l'on simule une représentation de l'espace à l'aide de la perspective mais un domaine d'expérimentation basé sur la forme, le fractionnement des points de vue et des couleurs modulées en harmonie: «Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude», affirmait-il.
En organisant en 1895 la première rétrospective de l'oeuvre du peintre, le galeriste Ambroise Vollard déclenche un formidable mouvement d'opinion envers Cézanne. Les peintres sont bien sûr les premiers à comprendre que l'artiste est une référence. Matisse le considère comme «une sorte de bon Dieu de la peinture»; toute sa vie il refusera de se séparer d'une petite toile de Cézanne représentant des baigneuses, dont il disait: «Cette oeuvre m'a soutenu moralement dans les moments critiques de mon aventure d'artiste ; j'y ai puisé ma foi et ma persévérance.»
Et Picasso, indigné par un visiteur qui essayait de lui vendre un faux Cézanne, s'était exclamé: «Si je connais Cézanne? Il est mon seul et unique maître. Vous pensez bien que j'ai regardé ses tableaux... J'ai passé des années à les étudier.» L'ascendance cézanienne est en effet manifeste dans Le Nu bleu de Matisse comme dans Les Demoiselles d'Avignon de Picasso. Le peintre d'Aix aura contribué à mettre les artistes sur la voie du cubisme. Dans l'histoire de l'art, Cézanne est l'un des seuls maîtres qui rassemble autant de jugements et d'hommages des plus grands peintres de son temps comme des plus grands de ses successeurs. A la fin de sa vie, pourtant, Cézanne disait qu'il n'en était qu'au début de ses recherches! Un hommage posthume lui sera rendu au Salon d'automne de 1907: au-delà des fauves, des cubistes, de Picasso, de Matisse, de Bonnard, la plupart des peintres abstraits le prendront à leur tour pour référence.
Dès 1892, les peintres sont les premiers à s'installer à Saint-Tropez
Longtemps, les peintres qui faisaient le traditionnel «tour d'Italie» pour parfaire leur formation avaient traversé le sud de la France sans s'y arrêter. A partir des années 1880, le Midi sera au contraire leur terre d'élection. Séduits par les paysages, fascinés par la lumière, ils se réuniront le long du littoral, de Collioure à Saint-Tropez, qu'on ne pouvait alors atteindre qu'en bateau. Installé en Arles, Van Gogh, qui avait rêvé du Midi en homme du Nord, pensait avoir découvert un monde nouveau. C'est lui qui décrira en poète ce Midi que tous les peintres ont alors aimé: «Ici, même en fortifiant toutes les couleurs, y compris le rayonnement de soufre pâle du soleil et le bleu admirable de la coupole du ciel, on obtient encore le calme et l'harmonie. Il arrive quelque chose de semblable avec la musique de Wagner: bien qu'exécutée par un grand orchestre, elle n'en est pas moins intime.»
Contenus liés
Cette page n'est en relation avec aucune autre
Titre
Le bonheur de peindre au soleil de la Méditerranée
Créateur
Date
07 /06/2013
Source
Lire l'article en ligne
Le Figaro.fr, Culture
Droits
Non libre de droits