La Fille en noir
Description
[Synopsis]
"Deux riches Athéniens viennent en vacances sur Hydra : un écrivain Pavlos (Dimitris Horn) et un architecte Antonis. Ils louent deux chambres chez Froso, veuve depuis dix ans. Celle-ci a pris un amant. La honte rejaillit sur la fille, Marina (Ellie Lambeti) et son fils Mitsos (Anestis Vlachos). Pavlos fait la cour, avec succès, à Marina. Un de ses soupirants locaux, Cristos (Giorgos Foundas), jaloux car il n'a jamais réussi à la séduire, décide de se venger. La relation entre Pavlos et Marina entraîne une dispute entre celui-ci et son ami Antonis qui repart pour Athènes. Cristos et sa bande font alors une « farce » à Pavlos : il retire la bonde du fond de sa barque avant son départ pour une promenade en mer. Cela provoque la mort de deux enfants innocents. Les diverses relations amoureuses sont alors vouées à l'échec définitif."
extrait de Michael Cacoyannis – “La Fille en noir”
Par Pierre-Julien Marest, in Culturopoing.com
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"Cinéma insulaire
La modernité[1] se fait d’abord attendre dans La Fille en noir. A première vue, on se trouve devant un objet cinématographique assez austère, filmé à regard d’homme. Ainsi assiste-t-on à l’arrivée, dans le port d’Hydra, d’un paquebot venu délivrer son flot de touristes. Parmi eux, deux aristocrates athéniens dont Pavlo, écrivain avorté, qui note que « tout est dans la lumière ; rien ne semble caché. Pas même les péchés des hommes. » La mise en scène de Cacoyannis, d’une apparente neutralité, abonde dans le sens de ce dépouillement. Les choses y paraissent telles qu’elles sont ; si l’on regarde d’en haut, c’est une plongée, et inversement.
Arrive un homme qui leur propose d’être hébergés dans une maison autrefois glorieuse, aujourd’hui délabrée : celle d’une famille déshonorée par la guerre. Y vivent une mère et ses deux enfants, Mitso et Marina. Marina, comme sa mère endeuillée, est toujours vêtue de noir, mais à la différence qu’elle se refuse aux hommes, de crainte d’épouser le sinistre destin maternel, celui d’être la risée de l’île. Car Hydra est une île sans histoire, épargnée par la mythologie comme par la plupart des guerres antiques. C’est une île rocailleuse, souvent abandonnée au cours des siècles, vierge de tout sauf des bâtisses de ses habitants — et de leurs médisances. Ainsi, la seule chose qui y fait évènement, c’est cette veuve indigne que l’on a surprise à embrasser un homme dans les ruines. La faute de la mère a rejailli sur son enfant ; elles portent toutes deux le noir et semblent indissociables. Ainsi, lorsque de nuit Marina marche dans la rue, on lui découvre deux ombres, quasi perpendiculaires. Cacoyannis a choisi de distiller ses effets avec une louable parcimonie. Ce dédoublement de l’ombre est le signe d’une personnalité déchirée. La fille a hérité des péchés de sa mère si bien que des émotions aussi nobles que l’amour et le désir, sont désormais l’origine même de l’humiliation. Plus tard, bien plus tard, après le drame, Marina et la pureté de ses sentiments ne seront plus qu’une ombre, une silhouette parfaitement noire détachée sur le ciel.
Marina est aussi brune que le soleil est blond. Lorsque Pavlo cherche à la séduire, elle réagit timidement, avec la candeur diaphane d’une Madone. Pavlo la quitte et la caméra va se fondre dans l’océan de sa chevelure noire. Fondu à l’ouverture, retour sur le port, où des hommes manigancent d’aller, à nouveau, se moquer de cette famille maudite. L’un d’eux jette un caillou dans l’eau, ne troublant que très provisoirement sa surface blanchie par le soleil. Cacoyannis est porteur d’une vision très contrastée des choses et des êtres, qui ne saurait se réduire au manichéisme. Car nous avons affaire à un cinéaste de l’ombre et de la lumière, dont la morale agit dans un curieux renversement des valeurs chrétiennes. Dans la crudité de la lumière, les péchés des êtres et leur laideur siègent en premier lieu dans l’obstination de leur regard. Parmi les ténèbres, toutes les nuances de la beauté.
Quant au salut… C’est dans le mystère de la chambre de Marina que Pavlo parvient à la faire rire, en mimant des airs d’opéras et en dansant. Voilà la réponse qu’oppose Cacoyannis au désespoir ; une réponse musicale, joyeuse et chantante qu’il réédite, en 1964, avec le légendaire sirtaki de Zorba le Grec."
CINÉMA D'HIER ET AUJOURD'HUI • Août-octobre 2019
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"Deux intellectuels athéniens prennent quelques jours de vacances dans une île grecque. Ils sont hébergés dans une maison où règne une atmosphère pesante... Troisième film de Cacoyannis après Stella, femme libre, il a été tourné à Hydra et commence par une lente approche par la mer qui donne aux arrivants l’impression qu’ "ici rien ne semble caché". Et Cacoyannis va continuer à jouer, par ses cadrages et ses angles de prise de vue, de la topographie des lieux, des contrastes entre la blancheur des maisons et les robes sombres des femmes, composant une atmosphère tragique qui s’alourdit peu à peu sans que l’on sache exactement vers quoi elle va. Un autre film à mettre au panthéon des films sur l’insularité à côté de ceux de Rossellini et Bergman...
"Ce drame sur l'oppression des femmes et le poids des interdits dans les provinces grecques marque la première collaboration de Cacoyannis avec Walter Lassally, le chef-opérateur du jeune cinéma anglais [Un Goût de miel, La Solitude du coureur de fond...]. A-t-on jamais aussi bien filmé un port au soleil ?" Télérama (fév 19)
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Le 16 février 2019
"Pour son troisième film, Cacoyannis se tourne vers la tragédie moderne et réalise un portrait féminin de toute beauté.
Les propriétaires de la maison, Marina, son frère et sa mère, sont l’objet de moqueries de la part d’un groupe mené par Christos : difficile de comprendre la raison de ce comportement, même si très tôt on reproche à la mère, veuve encore jeune, des aventures qui ne parviennent pas à rester discrètes ; c’est qu’ici tout se sait, tout se voit. D’où ces plans récurrents de dialogues ou de disputes au milieu d’un chœur antique, composé de villageois et en particulier d’enfants moqueurs. Si Cacoyannis définit rapidement le caractère de Pavlos, écrivain raté qui se complaît dans une plainte perpétuelle et des excès (boisson, tabac, liaisons), c’est vers Marina qua sa caméra se tourne le plus doucement, d’autant qu’elle est incarnée par la radieuse Ellie Lambeti qu’il avait déjà dirigée dans son premier film, Le réveil du dimanche ; il sait capter son jeu nuancé, lui offrant des monologues superbes : qu’elle raconte la mort de sa sœur, « morte parce qu’elle était laide », ou, à la fin, qu’elle affirme son courage retrouvé, c’est la même fascination pour une actrice hors du commun et pour un personnage magnifiquement dessiné. Marina souffre d’abord en silence, de la honte concernant sa mère, de la violence autodestructrice de son frère, d’une existence qui se résume à des quolibets sans fin. Mais l’amour de Pavlos la révèle à elle-même et peu à peu elle ose. D’abord, elle cède et l’embrasse, puis elle va jusqu’à une entrevue sous un porche (séquence d’une simplicité sublime, avec la petite fille qui arrive dans la profondeur de champ pour regarder les amants hors-champ), et enfin, elle lui donne un rendez-vous auquel il devra venir par la mer.
C’est là que se noue le drame, dans cette mer qui a emporté la sœur et qui a failli perdre Pavlos, victime d’un jeu cruel organisé par Christos et sa clique. Par désœuvrement et par perversité, ce groupe à la chanson facile ne cesse d’imaginer des plaisanteries mauvaises : qu’il s’agisse de poursuivre Marina, d’entourer Pavlos en train de nager ou d’ôter le bouchon de sa barque, leur unité s’exerce au détriment des autres, de ceux qui se rebellent ou se refusent. La savante progression de leurs « blagues » les conduit à la tragédie : ignorant que le bouchon est enlevé, Pavlos emmène des enfants dans sa barque et ce n’est qu’au large que celle-ci coule. Il faudrait un cœur singulièrement sec pour ne pas être éprouvé par cette séquence poignante, dans laquelle Pavlos essaie désespérément de sauver des enfants au fur et à mesure que l’eau monte. Pareillement la très sobre scène de la procession qui mène au cimetière est déchirante.
Le film repose sur deux parcours que l’adversité transforme : Marina brise sa soumission et vainc sa peur, tandis que Pavlos devient adulte, lui qui n’osait même pas avouer à sa mère qu’il avait rencontré une femme. Autour d’eux, des figures neutres ou maléfiques se meuvent à l’affût d’un faux pas, scrutateurs à la morale caricaturale. Mais Cacoyannis fait un sort particulier à l’ami de Pavlos, qui apparaît comme un oracle (« si tu restes, ça va mal finir », lui prédit-il) et un représentant de la raison : Antonis est celui qui dit la vérité, qui sonde les âmes et qui prône l’apaisement. Mais il incarne aussi l’envers de Pavlos, pour le meilleur (il a du succès, s’épargne les ennuis) et pour le pire (il ne connaît pas la passion et ne profite de rien).
D’un scénario aussi fort, le cinéaste fait une œuvre majeure, sans doute parce qu’il a choisi la sobriété, qui n’est pas la froideur, bien au contraire : son travelling sur les mères attendant les bateaux, ce splendide portrait de Marina jetant de la terre sur le cercueil et s’interrompant en entendant la sirène du navire, ces cadrages géométriques des rues et des façades, toute cette simplicité rigoureuse fait de La fille en noir un film précieux qui, certes, s’attaque aux traditions néfastes et oppressantes, mais qui est surtout une ode bouleversante au courage et à l’amour."
Collection
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Grèce |
INSULARITÉ |
FEMME |
20e siècle |
CINÉMA MÉDITERRANÉEN |
Titre
La Fille en noir
Titre Alternatif
Το κορίτσι με τα μαύρα (To Koritsi me ta mavra)
Créateur
Éditeur
Sociétés de production Hermis Film
Date
Décembre 1956
Langue
Couverture temporelle
Sujet
Le film, intégralement tourné sur Hydra est l'occasion pour Cacoyannis de dénoncer la pesanteur de la tradition dans la province grecque : oppression des femmes (la « faute » de la veuve qui prend un amant qui rejaillit sur ses enfants) ; poids du deuil ; interdictions rigoureuses empêchant toute réelle relation homme-femme."
Format
Drame, 105 minutes, noir et blanc
Source
Voir la bande-annonce
Site le cinematographe.com
Droits
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