Description

[Résumé]
La notion de « récit de soi », en dépit de son apparente proximité avec d’autres catégories des sciences humaines et sociales – tel le récit de vie – apparaît spécifiquement opératoire pour réunir les interrogations de plusieurs disciplines, périodes et aires culturelles pour lesquelles sont utilisées des notions éclatées lorsqu’il s’agit d’entendre la voix des acteurs et de comprendre leurs actes : écritures de soi, écrits du for privé, écritures ordinaires, récits de vie, egodocuments… De 2009 à 2013, le programme transversal de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme Récits de soi. Méditerranée, Afrique. Individus, communautés, circulations culturelles, xvie-xxie siècles a mobilisé cet outil de recherche réunissant historiens, anthropologues, sociologues et linguistes. L’enjeu de ce programme était de questionner les processus subjectifs de représentation de soi comme moyen de comprendre les compétences de l’acteur à analyser le monde social, à s’y construire, à y produire...

[Extrait]
L’écriture n’est pas le seul lieu du récit de soi. Une forme de réflexivité conduisant à l’action imprègne aussi ces femmes dont l’engagement artistique bouleverse les rapports de genre, à l’instar de la danseuse syro-libanaise Badi‘a Masabni (Marie Elias) et d’artistes tunisiennes contemporaines (Laetitia Deloustal) dont les œuvres mais aussi la vie, au prisme de l’art, mobilisent assignations et inventions, dans un lien toujours tendu entre tradition et modernité. En tant qu’artiste pionnière à Beyrouth puis au Caire, Badi‘a Masabni, dans ses entretiens réunis pas une journaliste sous forme de Mémoires, considère qu’elle a pleinement vécu sa vie, mais là encore de manière clivée : au vide d’amour dans son espace intime, à son refus de se laisser enfermer dans un espace domestique violent et insatisfaisant, s’est associé le plein d’une vie de danseuse, de chanteuse, puis d’actrice s’exprimant par son corps. Son mode d’expression artistique procède alors de deux modalités, le mode ancien et un mode moderne en pleine émergence, qui ouvre de nouveaux espaces, la situant ainsi comme témoin des transformations de son époque. Femme libre, elle exprime sa liberté à l’aide de son corps.
La relation entre tradition et modernité se retrouve dans l’étude, par Laetitia Deloustal, des créations féminines contemporaines en Tunisie, tout particulièrement chez les plasticiennes. L’historienne de l’art s’intéresse ici à l’identité féminine au cours de la période de la « Renaissance » arabe dans le domaine culturel et intellectuel, c’est-à-dire tout au long du xxe siècle. Dix descriptions de trajets balisés par des œuvres d’artistes, autant de rencontres singulières et précieuses entre la chercheure et les figures importantes du champ artistique tunisien aujourd’hui, retracent un vaste éventail de compositions de postures féminines saisies dans des situations diverses. Ainsi peintures et photographies rendent compte de formes d’expérimentation de soi et de l’autre féminins à travers les notions d’identité et d’héritage. L’autoportrait, qui situe l’artiste femme face à elle-même, y occupe une place singulière.

Enfin, l’article de Liliane Nasser pose la question du récit de soi extériorisé par l’entretien chez des femmes auxquelles ni l’écriture ni l’art ne permettaient de s’exprimer, mais dont les épreuves, ici celles de la migration, engageaient nécessairement une forme latente de récit de soi. Approfondissant la question mémorielle, Liliane Nasser clôt l’ensemble de ce dossier par une étude de l’immigration libanaise à Marseille à l’aide d’entretiens avec une centaine de personnes, en lien à ses recherches antérieures dans les archives publiques et privées. Une fois précisée la portée et les limites d’une telle enquête orale, il s’agit là aussi de retracer des itinéraires spécifiques de femmes témoignant de leur vécu. Ainsi se différencient la narration des libanaises venues d’Afrique à Marseille au moment de la décolonisation de celle des femmes arrivées plus récemment dans le contexte de la guerre du Liban. Les dernières arrivées sont réticentes à parler d’elles-mêmes, du fait de leurs souffrances récentes. Le rôle de l’historienne consiste ici à faire advenir une parole qui prend du sens pour elle à condition qu’elle fasse sens pour celles qui l’énoncent. À ce titre, la chercheure contribue à inscrire cette parole dans la mémoire.

Titre

Récits de femmes en Méditerranée. Individu, savoir, récit de soi

Titre Alternatif

Introduction

Éditeur

Rives méditerranéennes

Date

2016, n°52

Langue

Couverture temporelle

20e

Format

p. 7-14

Identifiant

https://doi.org/10.4000/rives.4970

Droits

Non libre de droits