Description

[Extrait]
"La Camargue de Giono est comme la scène d’un immense théâtre où se joue une tragédie solaire : « Si j’ai parlé de ce théâtre c’est que nous sommes dans une dramaturgie générale comme dans tous les pays à soleil » (p. 336). Et il parle plus loin « du théâtre que le soleil dresse dans tous les carrefours de la sensation », un « théâtre direct, à base de sang et de violence » (p. 337). Giono l’a dit à Jean Carrière : « Chaque fois que dans un de mes livres il y a du soleil, c’est généralement pour le présage d’un drame abominable. [...] Oui, le soleil, pour moi, c’est le drame16 ». Mais, en Camargue, ce drame est d’une nature particulière. La violence du soleil s’y combine à la salinité corrosive de l’eau : Giono parle de « ces terres grises dont le soleil et le sel ont usé les couleurs jusqu’à la trame » (p. 327). Le soleil et le sel dévorent littéralement le pigment superficiel de la vie, mettent à nu la trame du réel, ce que Giono appelle dans Noé « le côté fond des choses ». Ils découvrent à nos yeux éblouis une vérité cruelle à goût de néant, l’abîme d’un monde totalement décapé. On comprend dès lors pourquoi « le seul luxe ici c’est l’ombre et la sieste » (p. 337).

C’est dans cette lumière qu’apparaissent les fantômes de Camargue. Ils sont plus grecs que shakespeariens, plus païens que gothiques, et semblent naître des eaux primordiales dans lesquelles joue la lumière :

Sur ces vastes espaces plats, l’eau circule à son gré. Elle n’est plus sollicitée par la pente et la pesanteur mais, semble-t-il, par un désir. Elle a ses boulevards qu’elle couvre de reflets. Elle paraît immobile. Il faut s’éblouir pour distinguer le frisson de son mouvement. Elle a ses rues où elle passe, puis qu’elle abandonne et la terre se dessèche et se craquelle comme un cœur. Elle a ses étangs où elle dort. Ce n’est plus H20, c’est Méduse, (p. 327)"

Titre

Camargue de Jean Giono et Hans Silvester : le mystère en pleine lumière

Titre Alternatif

in Rythmes et lumières de Méditerranée

Éditeur

© Presses universitaires de Perpignan (FR)

Date

2003

Langue

Format

p. 255-266

Source

OpenEdition Books
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Droits

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