Description

[Extrait]
"Lawrence Durrell semble opposer dans son œuvre l’Orient et l’Occident, l’Égypte et la Grèce comme il le confie à Henry Miller dans une lettre envoyée au printemps 1944. Il a le sentiment d’être à la fois en exil et en captivité à Alexandrie depuis quatre ans1. Dans Personal Landscape, An Anthology of Exile, il associe l’exil aux images de confinement, d’eaux stagnantes ou de décomposition. Il ressent une sorte de léthargie, de paralysie bien éloignées des rythmes de la Grèce, ou de la quiétude qu’il a pu y trouver. Cette même opposition se retrouve dans ses livres de voyages relatant les séjours qu’il a effectués à Corfou avant la seconde guerre mondiale, à Rhodes en 1945 puis à Chypre dans les années cinquante. (The Alexandria Quartet : Justine, Balthazar, Mountolive, Clea, Londres, Faber and Faber, 1957 ; 195 )

L’éloignement de la Grèce pendant le séjour à Alexandrie est vécu comme une amputation ou la séparation d’un corps vivant [PC 131]. Dans Reflections on a Marine Venus, il est très critique vis à vis des Égyptiens qu’il compare à une vermine qui grouille, à des primates en chemises de nuit, ou lorsqu’il souligne la saleté, la maladie et s’indigne à la vue des mendiants amputés allongés sur des chariots. La rencontre avec des enfants turcs à Rhodes lui rappelle « toutes les horreurs de l’Égypte » [RMV43]. Il ressent une sorte d’écœurement qui se transforme néanmoins en fascination/répulsion dans The Alexandria Quartet."
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"Durrell dépeint-il une seule Méditerranée ? De toute évidence non ; il oppose bien deux rivages différents, les brumes du Mariout à la pureté de la lumière en mer Égée, la clôture d’une atmosphère oppressante à l’ouverture d’une mer qui renvoie la lumière du ciel dans un échange infini, un Orient de carte postale à un rivage septentrional qui offre la quiétude et l’harmonie. Mais est-il possible de comparer ces deux rives lorsqu’il ne s’agit pas des mêmes modes de représentation, ni des mêmes genres littéraires ? La représentation n’a pas la même intensité, ni les mêmes percepts. La lumière et les rythmes sont sources de vie et de beauté en Grèce ; en Égypte ils sont associés à un registre lexical négatif ou péjoratif, s’appuyant sur la diminution, la dégradation, voire la répulsion pour les personnages du Quatuor – Pursewarden, Mountolive ou Darley qui depuis son île grecque, se sent clairement partagé entre deux paysages, entre deux rivages ou deux « rêves irréconciliables », l’austérité des Cyclades et les miasmes de l’Égypte [C17].

La Grèce est de plus associée à une certaine nostalgie de la part de l’auteur, due à la perte d’un paradis terrestre, Corfou avant guerre, Rhodes en grande partie détruite par la guerre, et Chypre déchirée par la lutte pour l’indépendance et que Durrell, travaillant au service de la Grande Bretagne, doit quitter. C’est un paradis terrestre, un havre de paix incarné en dernier lieu par la maison à Chypre, dans le village de Bellapaix, à côté du monastère, que Durrell dépeint avec une mélancolie qui s’accentue à la fin des trois livres. Ses récits de voyage sont des livres lumineux, qui transmettent les rythmes et les lumières de la Grèce comme une épiphanie, mais qui s’achèvent néanmoins par le départ, la perte, l’exil ou la mort de ses amis. C’est un paradis qui survit pourtant dans la mémoire, et que transmettent la poésie, la picturalité et le rythme du texte, grâce, et je citerai Deleuze, à « ces blocs de sensations, c’est-à-dire un composé de percepts et d’affects » qui font que l’œuvre d’art perdure et nous illumine"

Titre

Lawrence Durrell et les deux rivages de la Méditerranée

Éditeur

© Presses universitaires de Perpignan (FR)

Date

2003

Langue

Source

OpenEdition Books
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