Description

[Extrait]
“La ville d’autrefois : mi-Alger, mi-Séville. Avant-poste de frontière. D’abord le port. Pêcheurs et malaria. Couteaux malades. [...] Ils marchent, à travers les ruelles empierrées de la Marina [Quartier du port. . Dans les rues, des parfums, d’herbes aromatiques, de mistral, de friture de poissons. De temps à autre, derrière la petite toiture en tuiles d’une vieille maison, on aperçoit la mer. [...] Sous les portiques, dans les cafés en pleine lumière, face à la mer. Cent mètres plus loin, le premier horizon : cheminées de bateaux. De là-haut, du côté de la ville, [...] de la Marina au Castello (Quartier haut de Cagliari), toujours dans les rues empierrées, à travers de grands escaliers sombres, on dirait presque qu’il est minuit. De là-haut, la mer est noire. [...] Des palais sombres enserrent des ruelles étroites et humides, et des lambeaux de mer. Des étages les plus élevés, on a dans les yeux toute la mer et la ville, allongée, en bas baignée de lumière. [...] Enfin une brusque ouverture, la place lumineuse de la Cathédrale ." [Sergio Atzeni, I sogni della città bianca, Il Maestrale, Nuoro, 2005, p. 195-197.] L’écriture d’Atzeni plonge en profondeur pour remonter à la surface, à travers une langue réinventée, forgée, contrainte à un rythme haletant – mais qui sait aussi doucement ninniare, bercer – parfois obsédant jusqu’à la vision, au rêve. L’altération linguistique permet ce passage. La ville se montre et se dévoile, dans le délire, et se raconte. [...]

Dans cette traversée de Cagliari, on baigne dans une dimension méditerranéenne, on mesure à quel point les origines plurielles de la ville s’entrecroisent à l’ombre des austères remparts espagnols de Castello et dans les traits des visages, sabir d’un lexique physionomique commun, et dans les marchandages d’un souk peuplé de Phéniciens, d’Arabes, d’Espagnols et de Génois... Atzeni montre, en précurseur pour la littérature italienne de cette époque, qu’il est conscient d’appartenir à cette mer. La description des paysages humains, dans la Cagliari traversée par Nicola, peut se lire aussi bien comme “ordre des ressemblances” de Sciascia, comme sentiment d’une appartenance élargie, que comme “l’appartenance supplémentaire, méditerranéenne justement”, d’Amin Maalouf, “qui ne nie pas les autres, [...] une dimension commune qui s’ajoute, [...] culturelle et quotidienne, et appartient à chacun [Amin Maalouf in Costanza Ferrini, Venature mediterranee. Dialogo con scrittori d’oggi, Mesogea, Messine, 1999 ] ”. La “forme” de la littérature méditerranéenne ressemble, dans ce sens, à l’“appartenance supplémentaire” d’Amin Maalouf. Comme celle-ci, en effet, elle est constituée d’une écriture qui possède une identité et une langue bien à elle, pour raconter son propre univers. C’est justement cette particularité du “point d’écriture” qui garantit la profondeur avec laquelle on explore le paysage et la langue.
A travers la rencontre quotidienne dans notre “ici”, on peut lire l’“ailleurs”. En écoutant le son de paroles isolées et le son, dans certaines séquences de paroles, de la langue maternelle, on peut y reconnaître les échos d’autres langues, apportées par des marchands, des migrants, des envahisseurs. Le parcours de Cagliari, accompli par Nicola, est une traversée de l’espace et du temps, en Méditerranée, la présence simultanée, dans un même lieu, de strates de temps sous forme de pierres, d’édifices remaniés, de formes du paysage cultivé, de monstres de ciment ou d’une végétation luxuriante à l’abandon, de vues ou de visages où se mêlent les physionomies, appartiennent au même corps. L’imbrication des corps humains, des paysages, des gestes, des allures et des paysages, des architectures, bref du corps et de la ville, du corps et du paysage, est une forme de continuité qui annule les frontières entre les uns et les autres."

Titre

Rêver de Cagliari...

Titre Alternatif

in La pensée de midi

Créateur

Éditeur

Actes sud, vol. 21, no. 2,

Date

2007/2

Langue

Format

pp. 185-197, 204 pages

Source

Lire l'article en ligne sur cairn.info (consulté le 12 éfvrier 2023)

Droits

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