Description

Conférence
[Extrait]
J’ai choisi la littérature parce que je crois qu’elle est le moyen le plus direct pour aller au cœur d’une autre culture que l’on désire approcher. Car, comme le dit Abdellatif Laâbi, "pour connaître l’Autre il faut qu'il y ait le désir". Le récit d’aujourd’hui est un peu, si vous voulez, l'histoire de ce désir. Mais il nous faut une carte avant de nous embarquer pour mieux comprendre sur quel genre de territoire on s'aventure.

"La Méditerranée est une bonne occasion pour présenter une autre façon de s’approcher de l’histoire"(2) écrivait Fernand Braudel, un grand historien, qui connaissait bien la Méditerranée, et dont on ne peut que suivre la suggestion. Il faut également adopter l’image de Bruno Etienne, " la Méditerranée est un continent liquide, aux frontières solides et aux habitants mobiles ".
A propos de l'appartenance de ces habitants mobiles Predrag Matvejevic dans son Bréviaire méditerranéen(3) souligne encore : " La force de l'appartenance à cette mer a peu à voir avec la géographie et beaucoup avec la conscience: La méditerranéité ne s'hérite pas, elle s'acquiert. C'est une distinction, non un avantage. Il n'est pas question seulement d'histoire ou de traditions, de géographie ou de racines, de mémoire ou de croyances: la Méditerranée est aussi un destin " .
Le parcours se déroule parmi les ruines du passé, le long des chemins de vigne et d'oliviers ; il est parsemé de contradictions qui vivent côte à côte: les mythes et les grandes religions monothéistes, qui cohabitent pacifiquement ou qui se font la guerre, les tyrannies et les luttes, les empires et les républiques, les utopies, le mysticisme et la philosophie du corps.
En Europe du Nord, la Méditerranée est perçue d'une part comme un rêve des ruines gréco-latines ; parfois y sont compris le Proche Orient, l'exotisme, le folklore. D'autre part on continue à la voir comme une banlieue, donc comme une source de problèmes, de conflits et cetera. Donc si la Méditerranée -en particulier son côté artistique- est restreinte d'une part à son passé ou au folklore et d'autre part au conflit, il va de soi que l'Europe continentale voulantt se donner une image des rives sud et Est, à travers les titres des livres, les couvertures, les affiches et cetera, cette représentation appartient inévitablement à un de ses clichés. Donc la Méditerranée ne se voit pas reconnu un rôle d'innovation ou de création. La création dans la Méditerranée d'aujourd'hui est considérée comme muette.
Heureusement, il y a dans la pensée contemporaine de ce bassin des idées remarquables. Un regard direct comme celui de Thierry Fabre qui remplace la quête d'une Méditerranée perdue par une Méditerranée qu'il définit comme un " lieu dont je ne présuppose pas nécessairement l’unité, compte rendu de son état de fragmentation et que je décrirai comme un ensemble complexe, à la fois Un et Multiple, où règnent des tensions, des contradictions, des affrontements, mais où il demeure néanmoins un sentiment d'appartenance, une part irréductible qui donne vie à un être au mondeméditerranéen.(4) " Et l'être au monde méditerranéen, Fabrele voit comme constitué par l'harmonie des tensions et dans le sens le plus héraclitéen du terme, dans la conciliation des éléments opposés, synthèse du visible et de l'invisible, dépassement de la division entre spirituel et matériel et c'est dans cet espace et dans ces conditions qu'il voit naître la création méditerranéenne.
La Méditerranée est un continent littéraire qui a en soi la douceur des cantiques et la dureté du silence, l’humour des fous-sages, l’amour/haine pour la terre et pour la mer, vue comme une extension qui engendre fruits, monstres ou malheurs, amitiés ou invasions, amour pour l’inconnu et îles réelles ou imaginaires, solitude et nostalgie, hospitalité et accueil.
Les écrivains méditerranéens sont pleinement conscients d'avoir sur les épaules un géant: la civilisation méditerranéenne; leur littérature est une littérature de la mémoire donc, mais dans le sens le plus profond: elle scrute verticalement ses propres racines pour éclater dans le présent avec une parole de plénitude, comme le dit l'écrivain sicilien Vincenzo Consolo qui conclut: " les écrivains méditerranéens sont des écrivains verticaux, otages de leur propre mémoire ".[Vincenzo Consolo, Anime verticali, in Venature mediterranee. Dialoghi con scrittori di oggiCostanza Ferrini, Messine, Mesogea, 1999]

Mais revenons à notre voyage...Si vous en êtes d'accord, je chercherai à parcourir de nouveau les étapes d'un itinéraire bizarre, fait de déplacements géographiques, temporels et historiques, apparemment inconséquents, mais on sait que les Méditerranéens comptent parmi leurs qualités l'étrangeté. Je vous préviens : c'est un voyage pendant lequel les axes du présent et du passé, des narrateurs et de leurs personnages se croisent et je me faufile partout comme une clandestine invisible, parce que les femmes ne sont pas bien vues ni sur terre, ni sur mer. Les thèmes à comparer entre les diverses rives seraient infinis, comme vous pouvez bien l'imaginer. Au lieu de les citer tous, j'ai préféré en explorer quelques-uns. Entre autres: le paysage-corps et le regard, l'île et la mer, la ligne de brisement des vagues, les langues et la rue.

" C'est un silence étrange qui cette fois m'éveilla, roulé en boule au fond des cabinets. Le navire paraissait immobile, et du moteur point de ronron.
Je bondis sur mes jambes. Tout en moi était courbatu. Je collai mon oreille à la porte. Rien. Comme un chat je me glissais dehors. Les coursives étaient vides.
Débouchant sur le pont je fus interloqué. Une montagne verte écrasait le bateau et là, tout près, à portée de la main une petite ville ocre adossée aux coteaux, regardait de tous ses yeux du côté de la mer.
Il y avait des palmiers tout autour d'une place et au milieu un joli kiosque à musique, tout en dentelle aurait-on dit. Sous moi quelques dockers poussaient sur des chariots des collines de sacs. A trois pas l'échelle me tendait les bras.
Aucun douanier parmi les caisses et les sacs ne paraissait embusqué. Tout le monde avait déjà débarqué. Une chance, tout semblait normal.
Avec le flegme d'un homme d'équipage qui n'en est pas à sa première escale je descendis les escaliers. Sans encombre je franchis les grilles. اa y était!
J'étais parmi la foule du port, près d'un petit marché. Je me perdis entre les étalages. اa sentait le poisson, les algues et le pavé mouillé. Mais quelle ne fut ma surprise entendant autour de moi, outre une langue très criarde qu'on parlait couramment français…

Titre

Voyage dans la méditerranée à bord des littératures

Éditeur

Interromania, Université de Corse

Date

Rencontre du 04.06.2012

Langue

Source

http://www.interromania.com
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