Description

Résumé
L’analyse de ce petit texte, que Julien Green a écrit exprès pour un genre de publications qu’il n’aimait pas – à savoir les guides touristiques –, veut démontrer qu’il a été conçu comme un véritable récit de voyage contemporain dont il montre tous les caractères typiques : l’hybridité, car Green a puisé les données essentielles sur la ville dans son journal en les amplifiant, et la narration d’un voyage comme expérience personnelle et donc comme un parcours intérieur accompli grâce à la contemplation du monde. Dans ces pages, la topographie urbaine se transforme petit à petit en un palimpseste : le flâneur qui décrit les différentes parties de la ville cherche à déchiffrer les signes jalonnant sa flânerie et il fait apparaître un autre texte, à savoir celui où l’espace urbain est modifié par le prisme de son imagination, de sa mémoire et de sa culture.

[Extrait 1]

"De la ville réelle à la ville vécue

Il faut signaler avant tout que le texte est annoncé par un titre qui témoigne, même si c’est de façon implicite, de la visée réelle que Green lui a donnée : « Une âme de Condottiere » est une expression qui renvoie certainement au rôle de guide que cette ville a joué dans le temps pour l’Italie et pour toute l’Europe, mais elle nous invite surtout à pénétrer au cœur de la personnalité même de Florence, à saisir sa véritable identité et, par là, à essayer de comprendre les liens affectifs qui ont permis à Green de la reconstruire dans une narration dont le réalisme n’est qu’un point de départ pour des plongées imaginaires qui nous en restituent une vision stratifiée dans le temps et l’espace. D’ailleurs, la description de Florence n’est jamais limitée à ses éléments matériels, mais ouvre toujours sur d’autres dimensions. Elle fait apparaître l’image d’une ville façonnée certainement par son histoire mais surtout par le paysage culturel qu’elle arrive à créer grâce à son interaction avec l’imaginaire et la culture de celui qui la regarde et la parcourt. D’après les notations du diariste, Green a visité pour la première fois Florence en 1935, dernière étape d’un voyage italien qui l’a amené aussi à Rome et à Naples, dans un itinéraire qui n’est pas sans rappeler le célèbre texte de Stendhal. Le 13 juin 1935, il écrit dans son Journal une notation où il ne parle toutefois que de sa visite au couvent de Saint-Marc, lieu qu’il aime tout particulièrement à cause des fresques de Fra Angelico et de la figure de Savonarola, mais dont rien n’est dit explicitement, car tous les mots se concentrent sur ses sensations intérieures et ses réflexions :

Florence. Au couvent de Saint-Marc. Le grand cèdre au milieu du cloître répand sa paix et son grand silence ombreux sur les toits roses. Dans les cellules, j’ai eu pendant quelques secondes une émotion singulière, le vague et profond regret de ne pouvoir disposer que d’une vie. Il faudrait pouvoir consacrer une vie entière au spirituel, au seul spirituel. Ces mots ne traduisent en rien l’espèce de plaisir mélancolique avec lequel j’ai regardé la cour, de la petite cellule qui aurait pu être la mienne en d’autres temps. (ulien Green, Journal (13 juin 1935), in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. IV, 1975, p. 378-379.)"
[Extrait 2]

Un récit de voyage

Comment considérer alors ce texte à l’intérieur de l’œuvre d’un auteur qui a toujours affirmé ne pas aimer la littérature de voyage ou les guides mais qui pourtant s’y adonne ? Or, d’après ce que nous venons de dire, on peut affirmer que Green a conçu ce texte sur Florence suivant une logique typiquement littéraire car son récit s’appuie sur des stratégies bien précises : une narration à la première personne, une sorte de préambule qui fonde et justifie la narration successive d’un déplacement urbain axé sur le double registre du réel et de l’imaginaire et une conclusion qui envisage l’avenir ; sa structure et son langage visent non à nous informer superficiellement sur cette ville toscane, mais à transformer certains de ses lieux par le biais d’un discours subjectif, affectif et culturel où, selon sa démarche artistique habituelle, la vision transfigure les données matérielles et les fixe à travers l’écriture suivant les mouvements de la mémoire."

Table des matières

PLAN
De la ville réelle à la ville vécue
Un récit de voyage ?

Collection

Documents Villes

Titre

Florence avec Julien Green : un récit de voyage ?

Titre Alternatif

in Dossier : Les Suds rêvés de Julien Green
Du Sud aux autres Suds

Éditeur

Revue "Littératures"

Date

2017, n°76

Langue

Format

p. 57-66

Identifiant

https://doi.org/10.4000/litteratures.1561

Source

OpenEdition Journals
Lire l'article en ligne (consulté le 23 février 2022)

Droits

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