Le voyage selon Giorgio De Chirico. L’immobilité du départ et la vanité du retour
Description
[Résumé]
Chez Giorgio De Chirico (1888-1978), le thème du voyage est présent à chaque étape de sa longue carrière – telle une obsession. Dans l’espace « métaphysique » de ses tableaux, plane une impression de silence, de vide et d’angoisse – avec l’idée récurrente d’un départ, d’une attente ou d’un retour. Le voyage, évoqué plus que réel, est la métaphore d’une existence accomplie en vain, dont on ne peut rien attendre. De Chirico, perdu dans ses inquiétudes et progressivement protégé par l’humour et l’autodérision, apparaît dans son œuvre comme le voyageur intrépide de sa propre immobilité.
[Abstract]
In Giorgio De Chirico (1888-1978), il tema del viaggio è presente ad ogni tappa della sua lunga carriera, come un’ossessione. Nello spazio « metafisico » dei suoi quadri aleggia un’impressione di silenzio, di vuoto e di angoscia – con l’idea ricorrente di una partenza, di un’attesa o di un ritorno. Il viaggio, evocato più che reale, è la metafora di un’esistenza compiuta invano, da cui non si può aspettare nulla. De Chirico, perso nelle inquietudini e progressivamente protetto dall’umorismo e dall’autoderisione, appare nella sua opera come il viaggiatore intrepido della propria immobilità.
[Extrait]
Chez Giorgio De Chirico (1888-1978), le thème du voyage est présent à chaque étape de sa longue carrière – telle une obsession. Avant de considérer l’œuvre peint, les seules données biographiques de l’artiste disent une propension – voire une addiction – au voyage. Giorgio est né de parents italiens à Volos en Grèce. Après avoir quitté sa cité natale, sa vie n’est faite que de départs, d’arrivées, de retours – de voyages donc – et plus concrètement de déménagements, d’emménagements. On ne compte pas ses habitations successives. De Chirico se sentait plus apatride qu’Italien. Il aimait à se définir lui-même comme un Argonaute – faisant évidemment référence à ses origines : sa ville natale est l’antique Iolchos, le lieu mythique d’où embarquèrent les Argonautes. Comme les jeunes héros de la légende, De Chirico est parti de Volos. L’aventure artistique de Giorgio De Chirico fut moins intrépide et conquérante que celle de Jason et de ses compagnons. Mais, s’il ne partagea pas l’epos légendaire des Argonautes, De Chirico, perdu dans ses méditations et ses inquiétudes, n’en fut pas moins le voyageur intrépide de sa propre immobilité.
L’énigme de l’arrivée (L’enigma dell’arrivo, 1912) (Collection particulière, 70 x 80 cm) met en scène ce qui pourrait être le retour des Argonautes. Depuis le fond d’une immense place presque déserte, le regard est tourné vers la mer dont on ne voit rien : un mur barre toute échappée en direction du port. Seule une voile gonflée par le vent dépasse de la digue et laisse imaginer l’arrivée imminente de navigateurs. La voile est à l’antique. Comme est à l’antique le temple circulaire qui lui aussi est placé au-delà du mur. Deux portes en enfilade laissent voir l’intérieur du temple vide de toute divinité. La lumière est crépusculaire : le soleil, à son déclin, illumine la voile et le temple. La place est moins éclairée et certaines ombres portées semblent en contradiction avec l’éclairage vespéral du port. Sur la surface ocre rouge de la piazza, deux silhouettes humaines, fantomatiques, drapées de sombre, se tournent le dos : l’une s’éloigne, l’autre semble se diriger vers un autre temple, lui aussi vide. Le parvis de ce second temple présente un dallage en échiquier.
[...] Avec L’angoissant voyage (Il viaggio inquietante, 1913), ce n’est plus le mur qui arrête le regard : des arcades emmènent dans plusieurs directions. Mais l’on s’y perd. Les colonnes s’étirent en hauteur et se serrent selon la logique d’un jeu perspectif forcé. Aucune échappée n’est possible dans ce labyrinthe. L’impression d’enfermement n’est rompue que par une ouverture à gauche avec au loin la silhouette noire de la locomotive au panache de fumée blanche. En l’absence de toute présence humaine, l’espace construit de la sorte suggère effectivement l’idée d’un voyage angoissant.
Titre
Le voyage selon Giorgio De Chirico. L’immobilité du départ et la vanité du retour
Titre Alternatif
in Voyages de papier. Le voyage en sons et en images
Contributeur
Éditeur
Revue Italie, n°17/18
Date
2014
Langue
Format
2 volumes, 958 pages, p. 429-436
Source
OpenEdition Journals
Lire l'article en ligne (consulté le 02 juin 2022)
Droits
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