Description

[Présentation ]
Pour célébrer les cent ans des Six personnages, nous invitons à la lecture du volume collectif Pirandello 150. Un auteur en quête d’un personnage, paru en 2019, à l’occasion des 150 ans de la naissance du dramaturge italien, aux EUA (collection « En-jeux »), qui propose plusieurs études, principalement centrées sur la forme pirandellienne du métathéâtre et ses lectures scéniques jusqu’à nos jours. Le volume comprend également une introduction, une chronologie et une bibliographie essentielle, destinées à tout lecteur non spécialiste désireux de se rapprocher de l’œuvre de Pirandello.

9 mai 1921 : une date qui a changé l’histoire du théâtre européen. Au Teatro Valle de Rome, Pirandello fait représenter Les six personnages en quête d’auteur. Ce soir-là, la troupe de Dario Niccodemi, avec Vera Vergani et Luigi Almirante dans les rôles principaux, se retrouve face à un public turbulent. Les comptes rendus parus dans les quotidiens de l’époque ne disent presque rien du spectacle, mais ils s’arrêtent tous sur ces détails du public huant et de l’auteur qui s’échappe dans la confusion.
Et pourtant, dès les premières représentations de la pièce en tournée, on en saisit toute la valeur : c’est une nouvelle forme de théâtre qui est donnée à voir, une pièce « à faire », affichant sa construction ; bien plus qu’une forme de métathéâtre, un théâtre célébrant la fin du drame et du dramatique, un théâtre entre vérité et fiction, métaphore de la condition de l’homme moderne.
Ainsi, comme l’a observé Robert Abirached, « Des maschere nude [scil. de Pirandello] sont issues la plupart des techniques modernes qui jouent de la réfraction du personnage en un ou plusieurs miroirs, obliques ou parallèles, et qui, plus généralement, instaurent un va-et-vient entre la vie et une théâtralité pure, comme telle assumée » (R. Abirached, La crise du personnage dans le théâtre moderne, Paris, Gallimard, 1994, p. 239-240). Sans ce théâtre, il n’y aurait pas eu le théâtre de tant d’auteurs, pourtant si différents, tels que Sartre, le « nouveau théâtre » des années 1950, Salacrou, Genet.
La pièce met en scène des acteurs qui préparent un drame bourgeois. Pendant les répétitions, les personnages, créés par l’auteur, se manifestent. Ces derniers ne sont pas satisfaites du jeu des acteurs et leur donnent des indications pour mettre en scène leur histoire. Chaque personnage présente sa vérité en rendant l’histoire impossible à mettre en scène. La pièce devient tellement grotesque et dramatique que les acteurs abandonnent la scène.
Dans cette pièce, Pirandello rejette la division classique du théâtre en actes et en scènes. La pièce présente deux interruptions qui la rendent plus fluide. La structure laisse l’histoire se développer plus naturellement. Les personnages ne se reflètent pas dans les acteurs et dans leur jeu, si bien qu’ils entrent en conflit avec tout le monde et réalité et fiction se superposent.
Le drame pour moi est tout entier, monsieur : dans cette conscience que j’ai que chacun de nous, voyez-vous, se croit un seul, alors que c’est faux : il est cent, monsieur, il est mille, selon toutes les possibilités d’être qui sont en nous […] avec l’illusion d’être toujours un seul pour tout le monde. ( Luigi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, Paris, La Pléiade, p. 1037)
Avec cette pièce Pirandello témoigne du passage de la tragédie à la comédie, lorsque les Personnages entrent en conflit avec leurs vérités des faits, qui varient selon leurs sentiments, leurs valeurs et leurs raisons. Le motif de l’humour met en évidence le thème du double : contraste entre réalité et fiction. Le premier analyse, approfondit et dissèque le drame des événements vécus par les personnages individuels, tandis que le second met à nu les conventions théâtrales données par les acteurs. Le caractère conflictuel et non concluant de la tragédie génère une nouvelle structure formelle, due à l’impossibilité de limiter le travail en scènes et à l’éloignement de la fiction théâtrale, ainsi qu’une nouvelle vision du monde, dominée par l’humour, la discorde, la complexité et la relativité.
L’auteur tente en vain d’atteindre un sens universel, qui serait en accord avec toutes les vérités des Personnages. Il se rend compte que cette mission ardue est en fait impossible. La réalité bourgeoise, en effet, est contradictoire et l’impossibilité de trouver un sens commun provoque la fuite de l’auteur, le renoncement à la tragédie et, par conséquent, le rejet des Personnages.

Nous avons tous en nous un monde de choses ; chacun d’entre nous un monde des choses qui lui est propre ! Et comment pouvons-nous nous comprendre, monsieur, si je donne aux mots que je prononce le sens et la valeur de choses telles qu’elles sont en moi ; alors que celui que l’écoute les prend inévitablement dans le sens et avec la valeur qu’ils ont pour lui […] On croit se comprendre ; on ne se comprendra jamais ! ( Luigi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, Paris, La Pléiade, p. 1030)

Luigi Pirandello révolutionne le théâtre bourgeois et européen de l’époque en brisant les schémas conventionnels. Il met en scène le drame comme une réalité irreprésentable. Pour cette raison, il est impossible pour l’art, et donc aussi pour le théâtre, de trouver un sens commun et unitaire de la vie. Pirandello utilise le métathéâtre pour montrer la relation inconciliable entre l’art et la réalité bourgeoise. Cette technique, qui met en scène une pièce dans une pièce, était déjà présente à l’époque du maniérisme et du baroque, mais ce n’est qu’au cœur du théâtre du XXe siècle qu’elle est revisitée par Pirandello dans un but précis : questionner le théâtre. C’est ce qui conduit l’auteur à une véritable innovation, consistant à placer le théâtre comme fiction scénique et le métathéâtre comme discussion de cette fiction. Dans la pièce, les acteurs perdent leur identité en devenant spectateurs et tout se confond jusqu’à fusionner la réalité avec la fiction. Les Personnages mettent en garde les Acteurs en leurs disant « nous n’avons pas d’autres réalités que l’illusion, vous feriez bien aussi, de vous défier de votre réalité, de celle que vous respirez et que vous touchez en vous aujourd’hui, parce que, comme celle de hier, elle est destinée à se révéler demain pour vous une illusion. » (Six personnages en quête d’auteur, Paris,La Pléiade, p. 1070.)

Titre

Pirandello 150. Un auteur en quête de personnages

Titre Alternatif

Un autore in cerca di personaggi

Éditeur

Éditions universitaires d'Avignon, collection « En-jeux »

Date

10/10/2019

Format

380 pages

Droits

Non libre de droits