Introduction au théâtre de Luigi Pirandello

Description

Monographie [Avant-propos]
Ce n’est qu’aux approches de la cinquantaine que Pirandello a entrepris une carrière de dramaturge. A ce moment-là, les jeux étaient faits. C’est avec des convictions bien arrêtées, une vision de l’homme et de la société définitivement fixée, qu’il a abordé la scène en exploitant ses romans et ses nouvelles, allant parfois jusqu’à reprendre mot à mot les mêmes expressions qui constituaient ses idées-forces. C’est pourquoi l’étude chronologique de ses pièces n’a qu’une importance relative. Elle n’est pas injustifiée comme l’ont montré tous ceux qui ont retracé la courbe de son évolution ou de son involution, mais elle n’apporte pas de réponse à la question que nous nous sommes posée sur l’origine de sa vision du monde. Le fait qu’il fut Sicilien n’était sans doute pas sans intérêt, mais il nous est rapidement apparu que le façonnement de l’enfance avait laissé dans son théâtre des traces bien plus déterminantes : « Ce que vous n’avez pas absorbé à dix-huit ans, a écrit Simenon, vous ne l’absorberez plus. C’est fini, Vous allez pouvoir développer ce que vous avez absorbé. Vous allez pouvoir en faire quelque chose ou ne rien faire du tout. Mais vous avez fini le temps de l’absorption et, le reste de votre vie, vous resterez par conséquent esclave de votre enfance et de votre adolescence. » C’est ce que nous avons pu aisément vérifier au sujet de Pirandello dont la culture est un acquis ultérieur qui n’a pas sensiblement modifié ses tendances profondes ; mais cette culture, malgré tout, est capitale, car elle l’a aidé à se connaître et à connaître les autres, à se situer aussi en tant qu’homme et en tant qu’écrivain dans cette fin de siècle qui a vu le crépuscule de toutes les idoles. Le décadentisme constitue sans nul doute le soubassement de son œuvre en même temps que ses limites. Ce sont celles que soulignait Ionesco quand il écrivait dans ses Notes et contre-notes : « Pirandello lui-même est dépassé, son théâtre étant fondé sur des théories de la personnalité ou de la vérité aux faces multiples, théories qui, depuis la psychanalyse et les psychologies des profondeurs, semblent claires comme le jour. En confirmant la justesse des théories pirandelliennes, la psychologie moderne, allant nécessairement plus loin que Pirandello dans l’exploration de la psyché humaine, donne une confirmation certaine à Pirandello, mais en même temps rend Pirandello insuffisant et inutile : puisqu’elle dit mieux, plus scientifiquement que Pirandello, ce qui a été dit par Pirandello. La valeur du théâtre de celui-ci ne tient donc pas à son apport en psychologie, mais à sa qualité théâtrale, qui est nécessairement ailleurs : ce n’est plus, chez cet auteur, la découverte des antagonismes de la personnalité qui nous intéresse mais ce qu’il en fait, dramatiquement. »
Ionesco a vu juste mais on ne peut séparer ceci de cela. Aussi ne peut-on étudier le problème de la personne sans perdre de vue qu’il ignorait tout de Freud mais était parfaitement au courant des travaux de la psychiatrie contemporaine comme l’avait été Max Nordau dont l’influence a été insuffisamment mesurée. Nous en avons fait un problème majeur parce qu’il nous a paru que c’était une clef indispensable pour pénétrer dans un théâtre qui offre bien d’autres perspectives. Les pièces que nous avons choisies et surtout l’ordre dans lequel nous les avons analysées répondent à cette intention. Il ne s’agit donc que d’un éclairage possible, à la fois nécessaire et insuffisant pour qui voudrait épuiser toutes les richesses d’une œuvre passionnante par sa complexité. Au reste, nous ne proposons pas autre chose qu’une introduction, la préhistoire et l’histoire d’un théâtre qui, à bien des égards, n’a rien perdu de son actualité.