Sur quelques “avortons” pirandelliens
Description
[Résumé]
Conceptuelle parfois, voire même existentielle, la question de la non-terminaison de certains textes pirandelliens se pose aussi de façon plus technique en relation avec le non-développement, l’abandon ou même le rejet de virtualités structurelles ou expressives du texte.
L’on étudie quelques uns de ces textes inachevés — les “avortons” pirandelliens —, qui appartiennent à des genres différents (la nouvelle, le roman, le théâtre) et que l’auteur a quittés à des stades différents de leur élaboration. Ainsi le non-fini peut-il renseigner sur les fonctionnements du laboratoire d’écriture et sur la nature de chantier perpétuel que revêt l’écriture de Luigi Pirandello.
[Extrait]
Pour qualifier globalement l’inachèvement chez Pirandello, il convient d’abord de s’effacer derrière la voix de l’auteur lui-même, et de raisonner par déduction au fil d’un enchaînement de citations. Première proposition — c’est un aphorisme récurrent dans des textes d’époques et de natures différentes — : « la vie ne conclut pas »1. Deuxième proposition : « la vie, ou bien on la vit ou bien on l’écrit »2. Or dans cette perspective, qui est celle de Pirandello lui-même et où il faut admettre le principe d’équivalence entre vivre et écrire comme prémisse indiscutable, certain aveu d’absence à la vie prend un sens particulier (par exemple dans une lettre à Benjamin Crémieux, l’un des traducteurs français) :
Lettre écrite par Pirandello en 1927 à son traducteur Benjamin Crémieux au moment où il donnait le (...)
Vous désirez quelques notes biographiques sur moi : je me trouve extrêmement embarrassé pour vous les fournir et cela, mon cher ami, pour la simple raison que j’ai oublié de vivre, oublié au point de ne pouvoir rien dire, mais exactement rien sur ma vie, si ce n’est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l’écris. De sorte que, si vous voulez savoir quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : « Attendez un peu, mon cher Crémieux, que je pose la question à mes personnages. Peut-être seront-ils en mesure de me donner à moi-même quelques informations à mon sujet. Mais il n’y a pas grand-chose à attendre d’eux ; ce sont presque tous des gens insociables qui n’ont eu que peu ou point à se louer de la vie » (Lettre écrite par Pirandello en 1927 à son traducteur Benjamin Crémieux au moment où il donnait le bon à tirer de Vieille Sicile (choix de nouvelles publiées chez Kra à Paris en 1928) ; reproduite en "Introduction" à Pirandello, Vieille Sicile, Paris, Éditions Sociales, 1958, p. 7-8.).
Aussi, par glissement de termes et décalque de citation, est-on fondé à énoncer cette vérité pirandellienne : “l’écriture ne conclut pas”.
D’emblée, donc, l’œuvre entier de Pirandello s’inscrit dans cette face de la modernité que la critique, libérée du fétichisme du Texte (clos et définitif), examine désormais sous le signe de « l’œuvre ouverte » définie par Umberto Eco : l’écrit porte les virtualités inépuisables de la vie et s’efforce d’accompagner l’incessant changement (soit ce qu’il faudrait appeler, pour respecter la matrice bergsonienne de la pensée de Pirandello, le « flux vital ») ; il déploie les sens contradictoires d’un XXe siècle inscrit sous le signe du chaos et de la crise ; il s’offre à la variabilité infinie de l’interprétation et à l’impossible clôture du « texte inépuisable »
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Titre
Sur quelques “avortons” pirandelliens
Titre Alternatif
in Objets inachevés de l'écriture
Créateur
Éditeur
Paris, Presses Sorbonne Nouvelle (PSN)
Date
2001
Format
p. 83-98
Source
OpenEditionBooks
Lire en ligne (consulté le 4 juillet 2022)
Droits
Non libre de droits