La mer des califes. Une histoire de la Méditerranée musulmane (VIIe-XIIe siècle)
Description
Présentation de l'éditeur
Fernand Braudel reconnut l'Islam comme l'une des grandes civilisations méditerranéennes, mais comme un acteur de second plan durant les siècles de croissance des échanges en Méditerranée. Dans son sillage, l'ensemble des histoires de la Méditerranée médiévale accordent une place subalterne aux marins de l'Islam, généralement relégués au rang de pirates. Cet ouvrage propose une histoire totalement renouvelée de l'espace méditerranéen. La production écrite des Arabes, extrêmement prolifique durant toute la période médiévale, et la documentation archéologique en pleine croissance permettent de réévaluer le rôle des musulmans dans l'histoire de la Méditerranée, dont tant de sites portent encore la trace. On découvre alors que les califes et les oulémas ne se sont pas détournés de l'espace maritime, bien au contraire. Dix ans après le début de la conquête des régions méditerranéennes, les musulmans investissent la Méditerranée. Des marins, guerriers et marchands, ne cessent de la sillonner tandis qu'elle est abondamment décrite par les géographes, cartographes et encyclopédistes. Territoire du jihad des califes par excellence, elle n'a cessé de faire l'objet d'une attention soutenue de la part de l'Islam médiéval.
[Recension par Michel David]
Jusqu’à une date récente, la présence musulmane en Méditerranée était généralement représentée par les attaques de pirates « maures et sarrasins » en mer ou sur les côtes européennes pour s’y livrer au pillage et à l’enlèvement des chrétiens pour en faire des esclaves. En ayant recours aux sources arabes Christophe Picard modifie complètement cette perspective; il nous fait faire à travers les écrits des géographes et des lettrés musulmans du haut Moyen Age une lecture très différente des clichés anciens. Nous découvrons que l’activité maritime de l’islam n’a pas été limitée à la pratique de la piraterie mais qu’elle a procédé à la fois de l’esprit de conquête des successeurs du Prophète et de la recherche par les califes de butins fructueux assurant leur richesse.
L’ouvrage est divisé en deux parties. La première porte sur ce qu’a représenté la Méditerranée pour les Arabes de la conquête, les géographes, les lettrés ainsi que l’importance que lui ont attachée les califes des VIIe au XIIe siècles. La seconde partie analyse les stratégies diverses mises en oeuvre par les califes pour réaliser leurs ambitions de domination du domaine maritime et de conduite de la guerre contre les chrétiens. En réalité il apparaît préférable dans le cadre d’un compte rendu succinct de ne pas suivre cette présentation qui conduirait à certaines répétitions auxquelles n’échappe pas la division adoptée par l’auteur. La synthèse des deux parties met en évidence les données essentielles fournies par cet ouvrage remarquablement documenté et enrichi de cartes ainsi que d’une bibliographie considérable.
A la mort de Mahomet la mer des Arabes était la mer Rouge et le golfe Persique. Mais dès la conquête de la Syrie et de l’Egypte, ses compagnons se sont rendu compte qu’on ne pouvait pas protéger les côtes si l’on ne tenait pas l’espace maritime voisin; d’où la construction d’une flotte dont la première intervention fut sur l’île de Chypre dès 648, premier acte de l’investissement musulman en Méditerranée. En 650, en mer Egée, les musulmans disposaient déjà d’infrastructures, de navires et d’équipages qui leur ont permis de remporter une grande victoire navale sur les Grecs. En Egypte une escadre a aussi été constituée et un chef de l’amirauté nommé. Le calife.de Bagdad commandait alors les opérations terrestres et maritimes liées à l’expansion territoriale de l’islam et au contrôle des butins.
La primauté du califat abbasside laissait peu à peu la place à l’essor des autres califats nés de la conquête de l’Egypte, d’Ifriqiya et surtout d’al Andalous après l’échec de son glorieux conquérant Mussa b. Nusayr à Poitiers. La nécessité de constituer de véritables flottes est vite apparue aux nouveaux califes pour posséder une puissance maritime leur permettant de poursuivre l’expansion de l’islam et d’affaiblir les Infidèles. Ainsi se sont constituées sur les côtes des bases navales comportant ports, arsenaux et forts de défense; dans ceux-ci s’est développée l’institution du ribat, qui associait la pratique de l’ascèse au jihad défensif.
Dans la Méditerranée orientale l’objectif majeur était la conquête de Constantinople, capitale de l’empire byzantin. Après les deux tentatives infructueuses de 674 et 677, le calife renouvela ses attaques en 777-778 mais se heurta encore à la résistance des forces chrétiennes. On sait que l’islam devra attendre 1453 pour réaliser son rêve! A l’ouest en revanche la maîtrise de la mer acquise par les califes permit la conquête des Baléares. La prise de Palerme en 831 puis de Messine en 863 et de Malte en 869 dota les forces musulmanes de bases excellentes pour leurs incursions sur le littoral du sud de l’Italie, jusqu’à Bari, sur les côtes de Sardaigne, de Corse et de Provence où s’installèrent de petites communautés musulmanes. Narbonne à l’ouest et Fraxinatum à l’est devinrent terres musulmanes.
Le géographe irakien Ibn Hawpal peut écrire à juste titre qu’à cette époque la Méditerranée est au coeur de l’islam. Les lettrés arabes ajoutent que cette mer est l’espace impérial dédié au jihad dont Byzance dispute la suprématie aux califes. A l’ouest cependant les attaques répétées des Vikings à partir de 844 ont amené le calife de Cordoue non seulement à renforcer l’arsenal de Séville mais aussi à mettre en place un dispositif de défenses côtières allant jusqu’à l’embouchure du Douro au Portugal ainsi qu’au sud de Tanger et sur la côte du Rif.
Le Xe siècle est celui de la suprématie navale absolue des musulmans en Méditerranée; elle coïncide avec le temps des califes omeyyades et fatimides. Pour eux la maîtrise de cette mer est un enjeu essentiel de la confrontation entre pays d’islam et ceux de la chrétienté. La mer est l’espace à reprendre aux chrétiens, grâce à un nouveau souffle de l’islam dans l’esprit conquérant des ancêtres arabes; elle est l’espace de la vraie foi, celui de l’islam par excellence. Avec les califes omeyyades à partir de 929 le commandant de la flotte est considéré à l’égal de celui des armées; les amiraux jouissent d’un grand prestige célébré dans les récits des chroniqueurs arabes. Almeria devient le siège de l’amirauté de Cordoue. Partant de Majorque, en 935, la flotte andalouse va piller Nice et Marseille puis menace Barcelone au retour.
De son côté le calife fatimide d’Ifrîqiya, al Mansour, dispose de la meilleure force navale en Méditerranée avec des ports et arsenaux à Sousse, Tunis, Mahdiya qui deviendra sa capitale. Le calife attache une telle importance à la marine qu’il en fait son domaine réservé au service de son prestige personnel. Il ambitionne même reprendre à Bagdad sa prééminence dans la Méditerranée, conquérir le Moyen-Orient et gouverner tout l’islam. En 915 il attaque l’Egypte, s’empare de la Sicile et relance le jihad sur la Calabre en 918.
Le jihad contre les chrétiens n’empêche pas l’établissement de relations commerciales entre les deux mondes hostiles. Cette complexité est l’un des aspects les plus surprenants de l’histoire maritime de cette époque. On note la présence régulière de marchands musulmans dans les ports chrétiens. Les Pisans développent un trafic maritime pour importer des céramiques musulmanes bacini très appréciées en Italie. Les marchands juifs du Caire ont leurs réseaux au sein de l’espace islamique. L’ouverture commerciale d’al Andalous profite aux potiers; Almeria devient le port marchand le plus actif de l’occident méditerranéen.
Au XIe siècle, après l’effondrement omeyyade en 1009, un émir amiride prend le commandement de la flotte andalouse; le port de Denia sur la côte orientale, largement ouvert sur la mer, devient la capitale. La Sardaigne est le principal objectif de l’émir mais il échoue en 1015 et 1016. Il reprend des relations commerciales avec les Latins et avec les fatimides du Caire. Sa puissante flotte opère jusque sur les côtes de la Galice, menaçant le pèlerinage chrétien de St Jacques de Compostelle, et au sud aux abords des Canaries. La conquête de la Sicile par les Normands en 1063 brise la domination des fatimides; leur influence est cependant durable, beaucoup de musulmans étant restés, certains s’introduisant même à la cour du roi.
Le Maghreb devient un nouveau foyer de la puissance musulmane en Méditerranée. Les Berbères almoravides viennent au secours d’al Andalous attaqué par les Castillans de la Reconquista. Les musulmans contrôlent alors la façade maritime depuis le sud du Maroc océanique jusqu’à Antalya en Anatolie. Le domaine maritime de l’islam s’étend de l’Atlantique à l’océan indien. Au XIIe siècle le califat almohade est la grande puissance navale en Méditerranée, la seule capable d’affronter les Latins; une flotte de quatre cent navires est rassemblée à Ceuta. La maîtrise de la mer est au coeur de la stratégie du souverain almohade mais celui-ci doit faire face aux attaques de plus en plus fréquentes des Génois et des Pisans. Après l’effondrement de la puissance almohade, les Latins prennent la domination économique de la Méditerranée et c’est l’Egypte qui devient la plaque tournante des échanges commerciaux entre musulmans et chrétiens.
C’est grâce à l’abondante production littéraire arabe qui a couvert ces six siècles que l’histoire musulmane de la Méditerranée nous est mieux connue que par les chroniqueurs chrétiens. Les récits de voyages et les descriptions des géographes tels qu’al Bakri, al Idrisi, Ibn Khaldun et bien d’autres témoignent de la place essentielle que tenait le monde maritime pour les musulmans de la Méditerranée. Les itinéraires marins étaient mentionnés, côtiers ou directs, y compris entre les pays musulmans et les terres chrétiennes. La mer a également retenu l’intérêt des juristes et des saints mystiques dont la place était importante dans la société de l’occident musulman La mer des califes, conclut l’auteur, est en définitive « un espace de mémoire d’islam ».
Collection
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Titre
La mer des califes. Une histoire de la Méditerranée musulmane (VIIe-XIIe siècle)
Éditeur
Seuil, Collection L'Univers historique
Date
15/01/15
Langue
Source
Recension Les cahiers de l'Islam
Recension 2 (Pauline Guéna)
Droits
Non libre de droits