Description

[Extrait]
Albert Camus n’a jamais distingué l’amour des hommes de son amour du monde, dans ce qu’il nommait, après Nietzsche, « la pensée de midi ». La culture élémentaire de la terre et du ciel, à travers son œuvre littéraire, se manifeste par les « quelques biens périssables et essentiels qui donnent un sens à notre vie : mer, soleil et femmes dans la lumière »1. Ce monde méditerranéen, matrice de la culture grecque et latine qui a fondé l’Europe, était pour Camus le seul monde digne d’être aimé. Dans un premier temps, les intellectuels parisiens ont jugé un tel monde primitif, sinon même barbare, comme l’a reconnu Camus lui-même en revendiquant « notre heureuse barbarie » et en ironisant sur le mot du poète latin Terence : « Rien de ce qui est barbare ne peut nous être étranger »2. Albert Camus était en effet,avec Jean Giono et Henri Bosco, tous deux également méditerranéens, l’un des rares écrivains français à posséder une dimensionnement au même titre qu’un Emerson, un Thoreau ou un Faulkner aux États-Unis. On reconnaît, dans ce gonflement de la mer au fond des golfes où s’agite « un peuple grouillant et fraternel », la présence d’un « être plus secret » qui donne un sens à l’exigence morale, un être« nourri de ciel et de mer », écrit Camus au moment où il rejette de l’histoire « les puissances d’abstraction et de mort », comme le fascisme et le marxisme qui ont ensanglanté le siècle. Elles sont étrangères aux forces de vie que l’on trouve au fond de chacun de nous, dans cette part obscure de l’être sur laquelle se clôt Le premier homme.
Dès ses premiers textes, Camus a dressé le cadre immuable dece qu’il appelle en 1938 dans la revueRivages« une pensée ins-pirée par les jeux dusoleil et de lamer»4. On devine le nom deMeursaultqui sera, quelques années plus tard, le héros deLa Mortheureuseet le narrateur deL’Étranger. Nous sommes en présencede ce monde méditerranéen qui, selon la remarque deL’Hommerévolté, « reste notre premier et notre dernier amour »5. Et, s’ilest vrai que chacun de nous vit avec « quelques idées familières.Deux ou trois »6, voire même avec une seule « nostalgie d’unité »naissant paradoxalement d’un univers dispersé, on reconnaîtra queCamus n’a jamais chanté et rêvé qu’une seule chose : l’étrange fami-liarité d’un monde où les soupirs conjugués de la terre et du cielcouvrent les voix des dieux avant d’apaiser les paroles des hommes.Dans cette patrie immobile d’où l’histoire se retire, règne seulement,exil creusé au cœur du royaume, « un grand silence lourd et sansfêlure »

Titre

La pensée méditerranéenne d''Albert Camus

Langue

Format

Pdf, pp. 103-107

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