Description

[Extrait]
La mer se prête inépuisablement à toutes les combinaisons et à toutes les contradictions de l’imaginaire. Aucune ouverture pratiquée dans la terre n’atteindra jamais l’attirance des gouffres de la mer. En elle seule l’imagination peut plonger à la recherche de nouveau. Dans ses profondeurs, elle recèle toutes les monstruosités imaginables, c’est-à-dire à la fois postulées par l’imaginaire et réelles, ou en tout cas toujours possibles. Giono, ailleurs, ne s’était pas privé d’évoquer ces pieuvres ou ces calmars géants, dont l’existence est attestée, mais qui se situent assez au-delà de notre monde pour s’être déjà offerts, avant lui, à la rêverie d’Hugo et de Melville. Mais, dans ce même passage de Noé, il imagine mieux : une égale démesure, une égale négation de la mesure humaine, mais qui ne s’incarnerait pas dans un excès correspondant de taille, de poids ou de force. Cet autre monstre resterait au contraire dans le registre des tailles ordinaires. Il tirerait sa monstruosité, non plus de la négation des mesures ou des proportions physiques de l’homme, mais de celle des catégories de son imaginaire : une huître à sang chaud, une langue de chien qui vous lècherait la main, mais sans chien, le baiser de deux lèvres, mais qui ne seraient les lèvres d’aucun visage. La mer contient assez de merveilles et de monstruosités réelles pour qu’on lui en prête d’autres encore, surréalistes. Giono n’a tiré tant d’effets d’un imaginaire de la terre et de ses créatures que parce qu’il ne cesse, dans le même temps, d’en explorer l’envers, qui ne peut être que la mer et ses créatures à elle.

Titre

Giono, le navigateur

Titre Alternatif

in La pensée de midi

Créateur

Éditeur

Arles, Actes sud, Revue "La pensée de midi"

Date

2000/1 (N° 1)

Langue

Format

pp. 68 - 73

Droits

Non libre de droits