Nice, sa lumière et ses écrivains
Description
Promenade littéraire dans cette ville «que l'on feuillette en marchant» en compagnie d'Aragon, Gary, Modiano, Le Clézio ou Mauriès.
[Extrait]
En témoignent ceux qui y sont nés (J.M.G. Le Clézio, Louis Nucera) ou «presque» (Romain Gary), y sont passés (Patrick Modiano), y ont grandi (Patrick Mauriès, Maryline Desbiolles), étudié et aimé (Guillaume Apollinaire), s'y sont réfugié (Aragon) ou s'y sont installés (Matisse ?). Ici, donc, pas de carte postale aux teintes saturées mais plutôt un kaléidoscope. Fascinante combinaison de motifs réfléchissant à l'infini et en couleurs la lumière extérieure. Car s'il est un point commun à ces auteurs si différents, c'est bien une certaine fascination pour la lumière locale. Les peintres ne s'y sont pas trompés : «Quand j'ai compris que chaque matin je reverrais cette lumière, Je ne pouvais croire à mon bonheur !», s'enthousiasme Henri Matisse, qui s'y installe en 1917 et y demeure jusqu'à sa mort. Là, il fréquente Aragon qui s'y trouve réfugié avec Elsa Triolet durant la dernière guerre. De ces rencontres émergera Henri Matisse, roman, publié 29 ans plus tard alors que le peintre repose déjà au cimetière de Cimiez.
«Je m'en tiendrai à Nice comme à un fragment de fatalité»
C'est dans ce quartier que le personnage principal de Dimanche d'août de Patrick Modiano erre comme un fantôme au milieu de ses congénères. Il y est question des pins parasols et des immeubles qui se découpent net sur le ciel, de ces douces journées d'hiver et du printemps si beau qu'il revêt un aspect presque inquiétant. Au siècle précédent, c'est sur Nietzsche que la «magnifique plénitude de lumière» exerce un effet quasi miraculeux. «Je m'en tiendrai à Nice comme à un fragment de fatalité», écrit-il à son ami Peter Gast. Il y séjourne cinq fois, profitant sur les sentiers de la proche montagne ou la presqu'île de Saint-Jean «de ce que la nature a à nous offrir de plus exquis», et découvrant Dostoïevski à la librairie Visconti, salon et cercle de lecture fréquenté par les intellectuels de la fin du XIXe siècle. Pour Patrick Mauriès, auteur du très beau Nietzsche à Nice (2009), la ville trouve dans le philosophe son style même, la traduction naturelle de cette lumière intense à la fois fraîche et brûlante. De l «odor di Nizza», Patrick Mauriès, retient un mélange d'allégresse et de lenteur. Dans ce court mais sublime récit que constitue Dans la baie des Anges (2012), il écrit : «Alacrité de la pensée dans cette atmosphère sèche et aérée, dans cette lumière d'aplomb qui détache discrètement le grain des choses ; indolence que nourrissent la douceur du climat, la torpeur des débuts d'après-midi, l'illusion d'y voir les choses, la vie, s'y réduire à l'essentiel.» Arpentant la ville de l'Eglise russe au temple protestant néogothique de l'avenue Victor-Hugo en passant par les villas mauresques et autres «folies», Mauriès raconte un lieu qui «se pare de défroques empruntées, joue de mémoires importées, s'enivre d'allusions et d'architectures entre guillemets», faisant ainsi écho à une certaine idée de la littérature.
Romain Gary, débarqué avec sa mère des «confins de la steppe russe»
L'on voudrait faire passer Nice pour une ville essentiellement fermée, hostile à l'étranger, résumable en un tract politique d'à peine une demi-page. C'est oublier que la ville fut depuis toujours un lieu de brassage de peuples, d'idées et de styles - terre d'accueil pour beaucoup d'Italiens venus y trouver refuge ou travail mais aussi pour de nombreux Russes, Polonais, Arméniens, Pieds noirs, Maghrébins, Africains, etc. Parmi ces «étrangers» : Romain Gary qui en 1928 débarque à Nice avec sa mère issue des «confins de la steppe russe, d'un mélange de sang juif, cosaque et tartare.» Pourtant, lorsque à la fin de la guerre, Sa Majesté la Reine Elizabeth vient rencontrer son escadrille sur le terrain de Hartford Bridge et lui demande d'où il est originaire, il répond spontanément : «De Nice !». «Chère ville presque natale» racontée dans La Promesse de l'Aube (1960) comme un décor consolateur au spleen et aux malheurs. «Le mimosa était en fleurs, le ciel était très bleu, et le soleil faisait de son mieux. Je pensai soudain que le monde donnait bien le change. C'est ma première pensée d'adulte dont je me souvienne.»
Collection
Titre
Nice, sa lumière et ses écrivains
Créateur
Éditeur
Liberation.fr
Date
07/23/2006
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