Description

Ce numéro consacré à la « Géographie des saveurs » tente d'explorer les relations qu'’entretient la géographie avec l’un de nos cinq sens, celui du goût. Ce que nous entendons par saveur s 'établit en référence à la définition suivante : « Qualité perçue par le sens du goût ». L'emploi de ce terme suggère une forte restriction quant au traitement des rapports de la géographie et de l'alimentation. La recherche de la satisfaction sous tous ses aspects ludiques et sécuritaires et non pas de la satiété constitue le centre des préoccupations de ce numéro. L'usage du terme de saveur n'est pas innocent car il implique la notion de jugement et par la même suppose la diversité des goûts. Son usage devient même de plus en plus emblématique dans un monde en voie d’homogénéisation, dans lequel l'industrie agro-alimentaire est susceptible d'offrir des produits dotés du même goût dans le monde entier. Il rencontre un contexte de plus en plus favorable parmi ceux qui veulent défendre cette même diversité. La sensibilisation aux différentes saveurs et au maintien des savoir faire devient garante de la protection de l’environnement comme du maintien de la biodiversité.
[Résumé de l'article]
Initiée par l’Union départementale des offices de tourisme et syndicats d’initiative des Alpes-Maritimes, en réponse à la prise de conscience du galvaudage des recettes les plus emblématiques de la cuisine niçoise, la labellisation de la « Cuisine nissarde », intervient à un moment de résurgence des manifestations du « particularisme » niçois, largement appuyées, si ce n’est impulsées, par la municipalité de Nice. Bien que ces deux opérations n’aient pas de sources ni d’objectifs communs, l’une étant à vocation touristique, l’autre à portée culturelle et politique, elles ne s’en retrouvent pas moins objectivement alliées dans la réaffirmation de l’identité niçoise.
[Abstract]
The creation, in 1998, of the registered trade-mark “Cuisine nissarde” by the departmental union of tourism agencies of the « Alpes-Maritimes » (UDOTSI), in order to counterbalance the degradation of the image of the traditional regional cooking and of its most emblematic recipes, has taken place in a period of strong reactivation of the local identity, mainly supported and even promoted by the municipal authorities of Nice since 1995. Even though these two processes have no common origins and aims, the first one being a specific tourist-oriented operation and the second one a more global political and cultural purpose, they do have become objective allies in the reaffirmation of the local particularism.
[Extrait]
La labellisation d’une cuisine régionale et la protection de la marque ainsi créée par la propriété industrielle, constituent une entreprise inédite en France. Aussi, la création, dans les Alpes-Maritimes, de la marque « Cuisine nissarde, le respect de la tradition » amène-t-elle à s’interroger sur les motivations, la signification et la portée d’une telle opération qui intervient dans le contexte général du développement d’une demande sociale pressante pour des produits alimentaires de qualité et dont l’origine doit être clairement déterminée. Nous ne traiterons pas cependant ici de la validité et de la légitimité d’une telle démarche, la labellisation et la codification d’une cuisine régionale et de ses plats les plus représentatifs posant des questions — en particulier d’acceptabilité sociale, dès lors que l’on touche aux pratiques quotidiennes — qui dépassent pour beaucoup le cadre de notre propos. Il s’agira en revanche de montrer en quoi cette opération S’insère, nolens volens, dans une dynamique de relance identitaire et alimente la réaffirmation d’un particularisme local.
La cuisine, pilier et signifiant de la culture régionale1 est, dans les Alpes-Maritimes, depuis toujours fortement valorisée, en particulier par les médias touristiques, qu’ils soient départementaux ou municipaux. Le Comité régional de tourisme Riviera Côte d’Azur lui consacre un chapitre dans sa brochure de présentation générale2 et la Ville de Nice ne manque pas de la mettre en exergue dans la fabrication de son image touristique. Mais c’est aussi toute la société locale qui, au quotidien, célèbre le culte de la cuisine niçoise et glorifie ses héros : plusieurs associations, dont certaines très anciennes, se sont données pour mission la défense et la promotion de la cuisine du comté de Nice et de quelques-uns de ses plats caractéristiques3 ; et les figures légendaires de la cuisine et de la gastronomie locale figurent en bonne place au panthéon niçois4. Au travers de ses produits, de ses spécialités et de ses acteurs, servie par des plats emblématiques qui l’ont fait (re)connaître internationalement, la cuisine constitue l’une des composantes fondamentales du stéréotype niçois.
[...]
Ainsi, parce qu’elle matérialise un lien exclusif entre le territoire et la culture du comté de Nice historique, la cuisine est, elle aussi, mobilisée pour participer à la mise en lecture de l’identité niçoise. Elle contribue à la démonstration et à la revendication d’un territoire ayant ses particularités, son propre fonctionnement, un territoire où « l’on n’est pas vraiment dans le Midi, ni tout à fait en Ligurie et pas encore en Piémont »36. Elle s’insère dans un système de reconnaissance — du dehors — et dans un système d’appartenance — du dedans — et sert de point d’appui à la démonstration de la preuve de la spécificité niçoise à l’heure où, dans toute l’Europe, les revendications régionalistes, voire autonomistes, reprennent de la vigueur et où la redéfinition des entités territoriales, encouragée en particulier par la politique transfrontalière européenne, permet de redessiner les contours des territoires vécus.

Cuisine et identité semblent, peut-être plus que jamais, indissolublement liées ici. La cuisine niçoise, menacée dans son authenticité et sa spécificité, a besoin d’une dynamique identitaire forte pour y puiser les voies et raisons de sa pérennité, et l’identité niçoise se nourrit de la spécificité de la cuisine niçoise et des valeurs et images qu’elle véhicule pour s’affirmer et prouver sa légitimité. Mais la question est de savoir si cette « économie » pourra résister aux multiples pressions et enjeux qui prennent corps dans cet espace convoité et en mutation accélérée et garantir la pérennisation d’une vraie culture au quotidien ou bien si, faute de forces vives, d’objets et de lieux concrets de l’exercice de cette culture, c’est à sa « folklorisation » et conversion en artefact touristique que la cuisine niçoise est, là comme ailleurs, condamnée.

Table des matières

L’exception culinaire niçoise
L’émanation et l’expression d’un terroir original
Un art de vivre et une culture au quotidien
La cuisine niçoise : pratiques et normes
De l’esprit à la règle : le label « cuisine nissarde »
Une faible visibilité
La cuisine nissarde est-elle « durable » ?
Un engouement réel
Manger niçois : un acte militant ?

Collection

Documents Villes

Titre

Cuisine « nissarde » et particularisme niçois

Titre Alternatif

« Nissarde » Cuisine and Sense of Identity in Nice
in Géographie des saveurs

Éditeur

Revue Géographie et Cultures

Date

2004, N°50

Langue

Format

N°50, p. 45-61

Identifiant

https://doi.org/10.4000/gc.16888

Source

Lire sur OpenEdition Journals (consulté le 8 mars 2023)

Droits

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