Analyse contributeur. L’isola di Arturo de Elsa Morante (1957). Un roman de formation méditerranéen.
Description
[Extrait ]
« Verso l’alba, mi giunse da un giardino di fuori il canto di un galletto ; e allora, senza aprire gli occhi, fra un dormiveglia indovinai l’isola che si schiariva incominciando dall’ultima striscia del mare, fino alle spiagge di rena coi monticelli di alghe diacce. E i diversi colori delle case, i bei giardini pieni d’aranci, di limoni e di dalie. Perché Nunz. non era morta, anelavo di tornare a correre vittorioso sulle mie terre, come un Gran Valvassore che abbia riavuto il suo feudo!
[...] Il giorno seguente fu, per noi, fin dal risveglio, una festa felice. La luce si era levata così limpida, che pareva d’essere in aprile, invece che al 23 novembre; e, dopo aver dormito fino al tardo mattino, io feci una corsa alle spiagge e al molo, risalendo poi dalla parte della piazzetta. Il mare, l’aria e tutte le cose che incontravo sulla strada dividevano la mia felicità, quasi che l’intero universo fosse la mia famiglia. I giardini sui lati della strada, che, ieri notte, sembravano dei miraggi desertici, che si scostassero da me, oggi mi festeggiavano fedeli. E di nuovo io mi sentivo innamorato della mia isola, tutto ciò che sempre m’era piaciuto tornava a piacermi, perché Nunz non era morta.»
Elsa Morante, L’isola di Arturo, Opere, Meridiani, vol. I, Milano, Mondadori, (1957), 1988, pp. 1169-70
Il s’agit d’un extrait tiré du deuxième roman d’Elsa Morante (Rome, 1912-1985), « L’isola di Arturo ». Le narrateur est un garçon, Arturo, qui se rappelle de son enfance, de son adolescence à Procida, et des vicissitudes qui l’ont poussé à quitter l’île. Morante commence à écrire « L’isola di Arturo » en 1952 et après la publication, en 1957, gagnera le prix Strega. Ce roman obtient un très grand succès et est traduit en plusieurs langues, devenant probablement le roman le plus connu de l’écrivaine.
Description
La première partie de l’extrait proposé appartient au sous-chapitre « Il galletto », le deuxième paragraphe au sous-chapitre « Il riccio di mare », dans le quatrième chapitre du roman, « Regina delle donne ». Arturo, un garçon qui a grandi tout seul à Procida (au fond le véritable royaume de son enfance), connaît pour la première fois l’amour avec l’arrivée de sa belle-mère, Nunziata : en effet l’entrée dans l’adolescence et le sentiment amoureux pour la jeune fille coïncident et se manifestent lorsqu’il a peur de perdre cette dernière à cause de l’accouchement de son demi-frère. Lorsqu’Arturo réalise que Nunziata est toujours en vie, le paysage de sa bienaimée île redevient lumineux et accueillant, superbe et allégorique comme son enfance. Le père, Wilhelm, brille par son absence et pourtant il représente une figure mystérieuse et idolâtrée pour le protagoniste, qui quittera Procida après le dévoilement définitif de la figure de son père et de toutes ses illusions.
Interprétation
Dans un roman ayant comme titre le lieu où se déroule l’histoire du protagoniste, il est possible d’affirmer que les espaces revêtent un rôle à ne pas sous-estimer. L’île d’Arturo, Procida, est une sorte de bulle, où le temps suit le cycle de la nature et le rythme de la terre. La mer la sépare du continent et aussi du temps de la modernité, de la ville, en la transformant en un espace isolé, en marge de la société. Néanmoins, une société sur l’île existe, et si le temps du roman n’est qu’une succession cyclique de saisons, l’espace, quant à lui, (naturel et domestique) est bien plus définissable et présente une double fonction : il détermine les dynamiques relationnelles entre les personnages, qui réciproquement le définissent. Le deuxième sous-titre du premier chapitre, « L’île », nous offre une description générale de Procida : les « petits chemins solitaires enfermés entre de vieux murs », les plages, « les rochers escarpés qui surplombent l’eau », le port entouré de « ruelles sans soleil ». Les maisons, anciennes et aux fenêtres « aussi étroites que des meurtrières », ont un « aspect sévère et triste » (E. Morante, L’Île d’Arturo, Paris, Gallimard, 1963, pp. 17-18). Les touristes viennent rarement dans une île où « les boutiques sont profondes et obscures comme des cavernes de brigands » : la description du café et de l’auberge semble appartenir à un roman de pirates. Dans ce contexte très peu hospitalier, les habitants ne pouvaient qu’être solitaires et réservés :
Les Procidains sont revêches et taciturnes. Leurs portes sont toutes closes, rares ceux qui se mettent à la fenêtre, chaque famille vit entre ses quatre murs, sans se mêler aux autres familles. Chez nous, l’amitié n’a pas bonne presse. Et l’arrivée d’un étranger éveille non pas la curiosité, mais plutôt la méfiance. S’il pose des questions, on lui répond de mauvaise grâce, car les gens de mon île n’aiment pas que l’on cherche à percer leurs secrets (p. 20).
Les habitants ressemblent à leur île, sauvage et mystérieuse, gardant jalousement les secrets de la nature. La frénésie moderne, le désir de s’enrichir et de changer de statut social n’existent pas : dans ce lieu mythique, les dynamiques relationnelles s’avèrent ancrées dans une tradition presque ancestrale de réserve. Dans un scénario qui semble dépourvu de toute émotion, l’histoire d’Arturo, avec ses sentiments forts et son passage de l’enfance à l’adolescence, prend encore plus d’ampleur.
Arturo, en effet, habitué à vivre à la fois comme un aventurier et un lecteur des livres[1], avec un père très souvent en voyage, est un enfant solitaire (exception faite pour la chienne Immacolatella et pour les premières années de sa vie passées avec le valet Silvestro), et sera profondément frappé par l’arrivée de Nunziata. Cette dernière incarne en effet une figure maternelle, qu’Arturo a toujours conçue en forme de rêve, aussi bien qu’une figure sexuée. L’entrée en scène de Nunz. n’aurait pas eu le même effet sur le protagoniste, s’il avait grandi dans un contexte différent de cet univers masculin et presque englobé par la nature[2]. Pour Arturo, les femmes réelles (à la différence de celles qui peuplent ses romans) ne sont que des « êtres petits, incapables de grandir autant qu’un homme, et qui passaient leur vie enfermées dans des chambres et dans de petites pièces : c’est pour cela qu’elles étaient si pâles » (p. 77). L’opinion d’Arturo naît évidemment de l’observation des habitudes de son île : les femmes restent des êtres mystérieux, presque laids (« fagotées » dans leurs vêtements et par conséquence « difformes »). Les lieux où Arturo grandit influencent évidemment sa pensée, qui ne trouve d’autres horizons que dans la lecture de ses romans d’aventure. Nunziata, sa belle-mère, en arrivant sur l’île, révolutionne l’univers d’Arturo.
Préoccupé du sort de sa belle-mère qui est en train d’accoucher, Arturo, tandis qu’il court appeler la sage-femme, s’aperçoit que sa terre n’est plus le paysage familier qu’il connaît depuis toujours ; quelque chose a changé ou, du moins, son âme s’est-elle transformée. Ses sentiments de peur, d’abandon et d’angoisse semblent envahir aussi le village, avec ses ruelles étroites et labyrinthiques :
Comme je traversais en courant les ruelles endormies, j’avais l’impression d’être dans un théâtre en tumulte, où de nombreuses voix me criaient cette parole odieuse : la mort ! La mort ! […] J’avais de vieux motifs d’aversion et de suspicion contre cette femme ; et la nécessité de recourir à elle me contrariait, tel un mauvais présage ; mais néanmoins, comme il n’y avait d’autre choix, je courais comme un fou vers sa demeure, craignant que chaque instant de retard ne pût être fatal à la vie de Nunz. (P. 307).
Ensuite, en attendant que la sage-femme soit prête pour le suivre, il s’assoit sur un petit mur et observe l’espace qui l’entoure :
Et je fus presque surpris de m’apercevoir que la nuit était belle et tiède, une nuit sans vent, avec une grosse lune, à peine voilée par des vapeurs de brume. La mer et les jardins avaient une couleur souriante, comme au printemps ; et l’on n’entendait ni un mouvement, ni une voix. Sans doute m’attendais-je que toutes les présences de la création dussent s’agiter émues autour de N., comme sa cour autour d’une reine ! Mais, en réalité, l’agonie d’une femme dans sa chambrette est une chose si infime qu’elle ne peut assombrir le vaste univers.
Je m’allongeai sur le petit mur, pressant mon visage contre le ciment rugueux, avec un sentiment de misère désolée. Ce beau paysage, le ciel étoilé et mon île m’apparaissaient soudain amers, distants et, même dégoutants, parce qu’ils n’avaient pas de pensées pour cette chambrette que, de là, on ne voyait même pas, isolée là-haut dans la Maison des guaglioni, et qui n’était importante que pour moi (p. 311).
Ce passage est sans aucun doute capital, parce qu’il marque la fin de la symbiose entre Arturo et son île, un rapport qui a caractérisé toute son enfance. De plus, on pourrait même envisager d’interpréter les attributs négatifs qu’Arturo confère à son île et à la nature comme des insultes adressées à son père, Wilhelm. C’est lui qui devrait accomplir ces actions, revêtir le rôle de mari et de futur père et aller chercher la sage-femme ; c’est lui qui, peut-être, se révèle soudain, aux yeux du garçon, amer, distant et ignoble. Ce qui pourrait corroborer cette thèse, c’est qu’Arturo souligne précisément que : « Wilhelm, je l’avais complètement oublié, comme un rêve. Il semblait presque que sur la terre, il n’y avait plus eu que moi et Nunz. » (p. 312). Le fait de rapporter cette observation après ce passage important, et surtout de comparer cet oubli à un rêve, et donc à un état inconscient, nous amène à penser que la rancune qu’Arturo affiche contre le paysage et la nature est en réalité adressée à son père. Les figures de Wilhelm et de l’île s’avèrent étroitement liées pour Arturo et, dans ce cas, elles se superposent. Après l’accouchement, le garçon peut pousser un soupir de soulagement : Nunz. n’est pas morte comme sa mère. Le paysage recommence alors à s’accorder alors avec son état d’âme.
Les sentiments d’Arturo se reflètent maintenant sur le paysage. Si le soir précédent il y avait un écart entre l’île et les peurs du garçon, aujourd’hui tout lui est redevenu « fidèle ». Nunziata déménage dans la chambre que Wilhelm lui avait destinée le jour de son arrivée, et un lit matrimonial y est transporté pour accueillir la mère et son enfant, Carmine. Ici, comme une reine, elle reçoit les visites des amies. Un nouveau rapport de complicité s’instaure entre Arturo et sa belle-mère, même si cette harmonie durera très peu, à cause de la jalousie du garçon envers les attentions dont Nunziata entoure son enfant.
Il nous semble opportun à ce point de l’analyse de nous en tenir aux mots de l’écrivaine qui, dans la jaquette de l’édition du roman en 1975, écrit :
Dans les mythes héroïques, l’île natale représente une heureuse réclusion originelle aussi bien que la tentation des terres inconnues. L’Île, donc, est le lieu d’un choix : et à c’est à choix final, à travers les différentes épreuves nécessaires, que se prépare, sur son île, Arturo, le héros-garçon. Il s’agit d’un choix périlleux, parce qu’il n’y a pas de sortie de l’île sans la traversée de la mer maternelle : comme s’il s’agissait du passage de la préhistoire enfantine à l’histoire et à la conscience (n.t.)[3].
De cette note, nous pouvons déduire la nature du roman : le protagoniste est décrit dans une phase de sa vie où il doit surmonter des épreuves pour arriver à un choix. La dimension de l’inconscient (la traversée de la mère maternelle) y est présente tout comme l’aspect allégorique et symbolique (le passage de la préhistoire enfantine à l’histoire et la conscience, et le statut de l’île, qui représente en même temps la réclusion originelle et le désir de partir). Si on décide d’attribuer ces caractéristiques mises en valeur par Morante elle-même au genre du roman d’initiation, nous pouvons avancer l’hypothèse suivante : quoiqu’il n’y ait pas de formation complète du protagoniste (en effet, on ne connaît pas dans les détail à quoi a abouti son départ de l’île), nous pouvons considérer « L’Île d’Arturo » comme un « Bildungsroman », si nous estimons qu’il représente une structure ouverte visant moins à une destination établie qu’au repérage d’un parcours précaire et instable, où comptent davantage l’expérience que le protagoniste est en train d’acquérir et son apprentissage existentiel[4].
Le dernier vers de la dédicace, qui anticipe le roman, semble prophétiser l’échec du processus d’initiation : « hors des limbes il n’est pas de paradis » (p. 10). Les limbes, un espace incertain, vague, où personne n’a encore pris de décision ou fait son choix : donc, l’île. Mais ici le protagoniste se prépare au choix final, à travers des épreuves. Le lecteur a l’impression que le narrateur lui transmet son expérience de l’absence de paradis, une fois les frontières de l’île franchies, à travers le ton nostalgique avec lequel il raconte sa vie à Procida.
Bientôt, maintenant, allait finalement commencer pour moi l’âge désiré où je ne serais plus un adolescent mais un homme ; et elle, la mer, telle une camarade qui jusqu’alors avait toujours joué avec moi et qui avait grandi en même temps que moi, m’emmènerait avec elle explorer les océans, et toutes les autres terres, et toute la vie ! (P. 286).
Il est possible alors de considérer « L’Île d’Arturo » un roman de formation méditerranéen. Une note manuscrite pour la jaquette de la première édition nous informe que :
L’histoire d’Arturo veut représenter l’initiation d’un enfant à la vie, à travers tous ses mystères : des plus lumineux aux plus troubles. Mais dans la lumière de l’île même les choses troubles acquièrent une couleur merveilleuse, comme dans le paradis terrestre, avant l’enfer (n.t.)[5].
Dans ce roman, le lecteur doit s’attendre des mystères troubles, liés à l’inconscient et difficiles à avouer. Mais la lumière de l’île a le pouvoir de rendre toute chose fantastique, parce qu’il s’agit de la perception d’Arturo, qui voit ce qui l’entoure comme pour la première fois : c’est la dimension de l’indéterminé et du possible, la puissance du regard innocent.
Mots-clés (exprimant le rapport identifié de cette représentation à la Méditerranée)
Procida ; Roman de formation ; Lumière ; Enfance ; Adolescence.
[1] « Les soirées d’hiver et les jours de pluie, je les occupais à lire. Après la mer et mes vagabondages à travers l’île, c’était la lecture que j’aimais le plus. La plupart du temps, je lisais dans ma chambre, étendu sur mon lit ou sur le canapé, avec Immacolatella à mes pieds » (p. 31).
[2] Un autre élément qui renforce l’atmosphère mythique dans laquelle Arturo vit, est l’absence d’argent tout au long de son enfance : « Personne ne songeait à me donner de l’argent et je n’en réclamais pas ; mais, du reste, je n’éprouvais pas le besoin d’en avoir. Tout le temps que dura mon enfance, je ne rappelle pas avoir jamais possédé un sou » (p. 31).
[3] « Nelle figurazioni dei miti eroici, l’isola nativa rappresenta una felice reclusione originaria e, insieme, la tentazione delle terre ignote. L’isola, dunque, è il punto di una scelta: e a tale scelta finale, attraverso le varie prove necessarie, si prepara qui nella sua isola, l’eroe-ragazzo Arturo. È una scelta rischiosa, perché non si dà uscita dall’isola senza la traversata del mare materno: come dire il passaggio dalla preistoria infantile verso la storia e la coscienza » (« Cronologia », Opere, p. LXVI-VII).
[4] Pour notre analyse du deuxième roman de Morante, nous nous sommes appuyés sur la définition suivante : « Il romanzo di formazione è una struttura aperta, che indica una tendenza, piuttosto che descrivere il raggiungimento di una meta definita e la Bildung si fonda su una precisa virtù del protagonista, quella « curiosità epistemologica » che […] innalza questo genere letterario agli apici della cultura europea settecentesca e ne determina l’onda lunga di un riflesso che arriva fino al novecento. Nel romanzo di formazione, infatti, l’apprendere è sempre sentito come un processo precario e instabile, espressione di una mobilità continua e dissonante, generata da una concezione della vita che innalza a valore inoppugnabile l’esperienza interiore » (Mariolina Bertini, sous la direction de, « Autocoscienza e autoinganno : saggi sul romanzo di formazione », Napoli, Liguri Editore, p. 7).
[5] « La storia di Arturo vuole rappresentare l’iniziazione di un fanciullo alla vita attraverso tutti i suoi misteri : dai più luminosi ai più torbidi. Ma nella luce dell’isola anche le cose torbide prendono un colore fantastico, da paradiso terrestre, prima dell’inferno » (« Cronologia », Opere, op. cit., p. LXVI).
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LITTÉRATURE MÉDITERRANÉENNE |
Titre
Analyse contributeur. L’isola di Arturo de Elsa Morante (1957). Un roman de formation méditerranéen.
Créateur
Date
2018
Format
Plume, aquarelle, gouache
Dimensions
29 x 23 cm
Langue
Couverture temporelle
Sujet
L'isola de Arturo / Elsa Morante
L'île d'Arturo / Elsa Morante
Droits
Non libre de droits