Description

[Extrait]
II — Une quête odologique, la Grèce
Renée Vivien procède par « évocations » et « apparitions » pour témoigner de la présence d’autre chose, une lumière, un soleil. Elle entre en résonance avec le savoir qu’elle transmet, fait rare dans la poésie académique, pour réussir l’union délicate entre la langue française et la rythmique du vers grec. La Grèce antique n’est pas un objet d’étude froid mais nourrit l’œuvre poétique regorgeant d’images symbolistes. Les traductions d’une poésie définie comme originaire, celle de Sapho, inscrite dans une tradition de haute poésie féminine qu’incarnent les Khitarèdes oubliées, n’ont pu être faites sans une très bonne connaissance de la Grèce, connaissance qui procède de l’expérience vécue.
Renée Vivien a voyagé en Grèce pour traverser son image de la Grèce, car « Fille de génie et le plus grand poète de son temps » [17], elle élabore une œuvre littéraire à la jonction de la poésie académique et de la poésie mystique, à une époque où le mythe du progrès et l’imaginaire de la Nature s’érodent, où surgissent hédonisme et individualisme. Celle qui s’exile pour approfondir sa connaissance est avant tout grande lectrice et commentatrice de Sapho. Elle désirait laisser à la postérité une œuvre spéculaire, comme le montre le rapport avec son double, San Giovanni, l’écrivain androgyne, dans Une Femme m’apparut : « (…) vous êtes la floraison bizarre d’une sève inconnue » [18]. Sa vision littéraire habitée par la grâce est fondée sur la révélation et l’illusion, le visible et l’invisible, la surface et la profondeur, le traditionnel paradoxe ontologique inhérent à la vision mystique :

« Que s’effeuillent les fleurs, tubéreuses et lys,
Et que se taise, enfin, au seuil des portes closes,
Le persistant écho des sanglots de jadis…
Ah ! le soir infini ! le soir trempé de roses » [19].

La Grèce fut son chemin de vie après les souffrances de la neurasthénie. Cette femme très cultivée et versée dans la littérature de son époque voit les choses de l’intérieur. Sa quête de la Grèce est du même ordre que la quête de l’Orient mystique et originel d’un Gérard de Nerval. Où renaître pour rejoindre « l’âme universelle » ?
Retrouver la Grèce de Psappha et des Khitarèdes myrionymes, c’est rejoindre à travers des siècles de métaphysique et de religion chrétiennes une pensée de l’immanence confondue avec les sociétés traditionnelles. L’Orient est déterminé en tant que terre où le soleil se lève, terre de l’épiphanie de l’or. Renée Vivien se retrouve sur les rochers de Lesbos, l’île où se joue la restauration de l’état originel, une plénitude que l’œuvre, qui, si elle avait su durer, aurait traduit en terme d’enchantement, car au lever du soleil, les symboles du néant cessent de menacer la vie. S’ils intéressent l’auteur des « Sœurs du silence », c’est en tant que représentations soulignant la virtuosité d’une plume qui doit transcrire « Le persistant écho des sanglots de jadis ». Après le suicide de Psappha, la vie continue et revient dans des odes au son divin. Il reste précisément le poème, qui régénère Renée Vivien, la fait renaître, enchante ses amantes de l’or crépusculaire ruisselant d’une lyre voilée.

Titre

Renée Vivien, par Camille Aubaude

Titre Alternatif

Propos sur les Khitarèdes : beauté, lyrisme et silence
« Et voici maintenant ce qu’en beauté je chanterai
plaisir de mes compagnes . »

Éditeur

Revue littéraire et artistique "Temporel"

Date

26/09/2010

Langue

Format

Site web

Source

Temporel (consulté le 14 mai 2023)

Droits

Non libre de droits