Pour une littérature de l'olivier
Description
[Extrait]
L’olivier et la littérature méditerranéenne ont des caractères identiques. Les espèces d’oliviers qui poussent en Méditerranée se comptent par milliers : c’est un arbre qui est présent sur toutes les côtes, et dans tous les premiers arrière-pays. Mais il a en même temps un besoin essentiel : la spécificité d’un lieu. Il y a autant d’espèces d’oliviers que de points de vue sur la Méditerranée. De la même façon, la littérature de cette mer est toujours extrêmement localisée, et ce sont ces racines qui lui permettent son développement, son caractère transversal. Et puis, les oliviers, apparus en Arménie il y a une dizaine de milliers d’années, se sont répandus depuis dans toutes les terres du bassin, jusqu’au Portugal et au Maroc. La littérature méditerranéenne n’a pas fait autrement : à partir d’une origine géographique quasi identique, elle a pu accueillir tous les imaginaires, aussi nombreux que les espèces d’oliviers.
Cette image de transversalité est très forte, et pour l’illustrer, je voudrais commencer par un extrait de la sourate XXIV du Coran, dite De la Lumière. Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Semblance de Sa lumière : une niche où brûle une lampe, la lampe dans un cristal ; le cristal, on dirait une étoile de perle : elle tire son aliment d’un arbre de bénédiction, un olivier qui ne soit ni de l’Est ni de l’Ouest, dont l’huile éclaire presque sans que la touche le feu. Lumière sur lumière !
Tout olivier donne sa lumière, qu’il soit d’Orient ou d’Occident. C’est de la variété de sa diffusion géographique, toujours conjuguée à un “ici” précis, que jaillissent sa puissance et celle de sa littérature.
Le sens du lieu
L’olivier crée, par sa présence, un lieu. Il devient abri. Dans un passage de l’Odyssée, Ulysse décrit à sa femme leur lit de noces, construit sur un rejeton d’olivier puissant comme une colonne. Pour cette description technique d’une chambre et d’un lit bâtis autour d’un arbre, Homère utilise certains adjectifs qui signifient “riche en feuilles”, “avec un grand pied”… Cette idée d’un lieu créé par l’olivier, ici directement lisible, donne également une clé pour comprendre d’autres passages de l’Odyssée. Ainsi, quand Ulysse fait naufrage dans l’île des Phéaciens, à bout de forces, perdu, il cherche un abri où reprendre ses sens : Il s’en alla vers la forêt [et] se glissa sous une double cépée issue d’un même tronc, un olivier sauvage et un olivier cultivé. Ni la force humide des vents qui soufflent n’y pénétrait, ni jamais le soleil brillant ne les transperçait de ses rayons, ni la pluie ne les traversait. […] C’est sous leur abri qu’Ulysse se cacha […] et il se fit une couverture de feuilles. L’union des deux oliviers lui construit un “chez lui” dans cet ailleurs inconnu. Quand, à son réveil, les suivantes de Nausicaa veulent le laver et l’habiller, elles posent à côté de lui un manteau, une tunique et une fiole d’or emplie d’huile fluide. Alors l’illustre Ulysse leur dit : “Suivantes, tenez-vous à distance, que je sois seul pour me baigner, ôter de mes épaules l’eau de mer et me frotter d’huile d’olive, car il y a longtemps que mon corps n’en a pas reçu.”
[...]
Amina Saïd convoque cette mémoire entrelacée entre la mer et l’olivier dans son chant La Douleur des seuils.
Je suis née d’un silence / entre la mer et l’olivier
Le mystère d’une étoile errante / me protège de moi-même
Je suis née d’un silence / entre la mer et l’olivier
Du rythme des vagues / et de l’enfance de la lumière
Table des matières
Le sens du lieu
Le dialogue tacite des oliviers
L’entretien avec la mer
Les femmes, l’olivier et la mer
Le temps des olives
La résistance des oliviers
Collection
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FEMME |
Titre
Pour une littérature de l'olivier
Titre Alternatif
in Revue "La pensée de midi", Eclats de frontières
Créateur
Éditeur
Actes sud
Date
2003/2
Langue
Sujet
N° 10, pages 136 à 140
Format
180 pages, pp. 136-140
Source
Lire sur cairn.info (consulté le 14 mai 2023)
Droits
Non libre de droits