Description

[Résumé]
La « Révolution de Jasmin » a jeté la lumière sur une florissante production cinématographique féminine en Tunisie. Présentée comme un renouveau et une prise de parole exemplaire de la part du sexe opprimé, elle a cependant fait oublier à beaucoup de critiques l’engagement que leur aînées ont manifesté dans l’image depuis plusieurs générations. Le cinéma et la démocratie sont en effet deux problèmes auxquels les femmes ont voulu se confronter dès qu’on leur en a donné les moyens : armées d’une caméra, elles prennent la parole dès les années 1970 pour offrir leur témoignage et proposer une alternative au système de pouvoir en place, pour une reconfiguration démocratique des rapports sociaux
[Extrait]
S’il est né en 1956, ce n’est pourtant pas avant les années 1970 que les femmes y font leur apparition. Les premières femmes cinéastes sont issues de cette génération militante à laquelle rendent hommage Denise Brahimi et Michel Serceau dans ces deux citations : actives dans les fédérations de cinéastes amateurs, elles ont su convaincre le milieu en partant étudier à l’IDHEC de Paris ou à l’INSAS de Bruxelles les bases du montage cinématographique. À l’époque en effet, les formations au son, à la lumière ou à la réalisation n’étaient pas autorisées aux femmes, auxquelles on réservait les métiers de scripts et de monteuses, jugés plus féminins. Cela n’empêcha pas ces femmes de se lancer, petit à petit, dans la réalisation à leur retour à Tunis. Pour le cinéaste et critique de cinéma Férid Boughedir, l’émergence de ce « cinéma des femmes » a été facilitée par la constitution tunisienne et particulièrement l’adoption sous l’impulsion d’Habib Bourguiba du Code du Statut Personnel en 1956, qui a fait de la Tunisie l’un des pays les plus avancés, non seulement en Afrique mais également à l’époque sur la scène internationale, en matière d’égalité homme-femme. Viola Shafik souligne elle aussi cette particularité tunisienne dans le monde du cinéma, apparaissant manifestement comme une transposition de la situation politique du pays :
La préoccupation critique de la position sociale des femmes, mais aussi du genre et des relations en général, constitue un des traits caractéristiques les plus remarquables du cinéma tunisien depuis les années 1970 (…). Cette orientation particulière a par ailleurs conduit à une présence forte de femmes cinéastes.
Cette présence est d’abord marquée par les reportages ethnographiques de Sophie Ferchiou, réalisés dans le cadre de ses recherches scientifiques pour le CNRS français, parmi lesquels on compte les importants Chéchia (1966) et Stambali (1996), et des séries télévisées de Fatma Skandrani. Le premier moyen-métrage réalisé par une femme fut Fatma 75, tourné en 1975, année internationale de la femme. Il fut intégralement réalisé par Salma Baccar, et présente l’originalité d’être un docu-fiction ; forme novatrice pour l’époque, et d’autant plus intéressante qu’il s’agit d’un véritable hommage à l’Histoire du féminisme tunisien. Comme pour la plupart des films réalisés de façon indépendante, « l’engagement social prime sur le sentimental ; c’est le monde le centre de gravité » (11), ou pour dans le cas tunisien, et le cas de ce film-là en particulier, c’est la Tunisie que l’on met au cœur et au croisement des réflexions.
Sur une trame fictive, Fatma 75 présente de très nombreuses et précieuses archives sur l’histoire du féminisme en Tunisie. Le principe du film est simple : une jeune étudiante en droit, Fatma, doit préparer un exposé sur le féminisme. L’artifice permet à la cinéaste de redonner corps et vie aux femmes les plus marquantes, tant de l’Histoire tunisienne que de l’indépendance berbère ; elle rend hommage aux hommes qui ont pensé la condition de la femme et qui ont permis de démocratiser les idées que le Code du Statut personnel finit par mettre en place en 1956. L’adoption de ce texte est d’ailleurs la troisième borne chronologique des recherches de Fatma, qui échelonne son travail sur trois générations, évaluant l’évolution de l’opinion populaire au sujet du statut de la femme. Elle date la première vague de contestation féministe entre 1930 et 1938, date de la création de l’Union des Femmes Tunisiennes ; la seconde s’étend jusqu’en 1952, donnant ainsi un visage aux femmes qui ont lutté pour l’indépendance du pays ; la dernière tranche évoque le statut contemporain des femmes, qui ont, avec l’adoption du Code du Statut Personnel, bénéficié d’acquis incroyablement égalitaires pour l’époque.

Titre

L’alternative démocratique dans le cinéma des femmes en Tunisie (1970-2015)

Titre Alternatif

in Africultures

Éditeur

Université Sorbonne Nouvelle
Africultures

Date

02/2016

Langue

Couverture temporelle

Identifiant

￿hal-01574327￿

Source

Lire sur univ-sorbonne-nouvelle.hal.science (consulté le 2 juillet 2023)
Lire sur africultures.com (consulté le 2 juillet 2023) 

Droits

Droits négociés