Description

[Extrait]
L’imaginaire commun fait de la géographie de la péninsule italienne le facteur déterminant de l’esprit maritime inné de ses habitants. L’histoire des relations entre les Italiens et la mer révèle pourtant un rapport beaucoup plus complexe, parfois d’indifférence sinon d’hostilité. Le stéréotype du « peuple navigateur » est le prisme le plus célèbre à travers lequel certains traits propres de la période glorieuse de l’histoire maritime italienne (à savoir de l’hégémonie méditerranéenne de l’empire romain et, surtout, des marchands génois et vénitiens entre le xiiie et le xvie siècle) sont devenus les éléments constitutifs pour la définition de la « maritimité » de l’Italie projetée tout au long de son histoire1. Cette construction culturelle tranche avec la marginalité géopolitique et commerciale des anciens États italiens et des provinces italiennes de l’empire espagnol, notamment dès le xviie siècle2. Une marginalité qui fut aussi à l’origine du dépeuplement des zones côtières (menacées par les incursions barbaresques) au sein de la conjoncture démographique négative de toute la Méditerranée occidentale3. Toutefois, l’étude des formes d’auto-représentation d’une communauté nous permet de saisir l’enjeu politique des constructions identitaires. En effet, comme l’ont montré des recherches récentes qui ont abordé la question à l’échelle méditerranéenne, les connexions entre histoire, mémoire et représentations dévoilent des aspects des sociétés qui les produisent non négligeables pour les chercheurs [Maryline Crivello (dir.), Les échelles de la mémoire en Méditerranée (xixe-xxie siècle), Aix-en-Provence, Actes Sud/MMSH, 2010 ; La réinvention du « lien » en Méditerranée. Figures, formes, métamorphoses, Colloque de Marrakech, 1-3 mars 2011 (à paraître).].
Ainsi, l’étude de la réflexion sur la dimension maritime, et donc méditerranéenne, de la péninsule italienne au xviiie siècle ouvre des parcours de recherche dans le débat politique de l’époque, où cette réflexion s’intègre pleinement dans le discours réformateur typique de l’Illuminismo. Cette étude permet aussi d’observer sur une plus longue période les élaborations qui à partir de la fin du xixe siècle ont abouti au mythe du mare nostrum dans sa déclinaison expansionniste puis, après le fascisme, de coopération privilégiée avec les autres pays de la Méditerranée. Pour cela nous allons nous concentrer sur la région la plus directement impliquée sur la scène méditerranéenne, c’est-à-dire le royaume de Naples qui, lors de la guerre de Succession de Pologne, devint en 1734 une monarchie indépendante sous une branche de la dynastie des Bourbons, après la longue période de domination espagnole (1503-1707) et autrichienne (1707-1734) [Giuseppe Galasso, Il Regno di Napoli : tome II Il Mezzogiorno spagnolo (1494-1622), tome III Il Mezzogiorno spagnolo e austriaco (1622-1734), tome IV Il Mezzogiorno borbonico e napoleonico (1734-1815), Turin, UTET, 2005-2007.]. En particulier nous allons suivre le fil rouge des représentations du royaume de Naples élaborées par les Napolitains-mêmes ou, pour mieux dire, des représentations au cœur du débat culturel et politique animé par ce que l’historien Franco Venturi a défini comme le mouvement réformateur des illuministi méridionaux [Franco Venturi, « Il movimento riformatore degli illuministi meridionali », Rivista storica italiana, 74, 1962, p. 5-26. Voir aussi Giuseppe Galasso, La filosofia in soccorso de’ governi. La cultura napoletana del Settecento, Naples, Guida, 1989 et Girolamo Imbruglia (dir.), Naples in the Eighteenth Century. The Birth and Death of a Nation State, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.]. Dès le milieu du xviiie siècle, le projet réformateur s’ancre sur la prise de conscience de la situation de sous-développement du Royaume liée à la dépendance économique des puissances étrangères, presque assimilable à une dépendance coloniale. Les illuministi s’efforcent de proposer des mesures qui auraient permis au nouvel État indépendant d’imiter, au moins en partie, les lignes de la croissance économique du Royaume-Uni ou de la France. La valorisation de la position géographique, au cœur de la Méditerranée, pouvait être la base de cette aspiration à l’émancipation. Cependant, les limites de la politique réformatrice ne permirent cette émancipation qu’à un niveau idéologique lorsque la péninsule italienne fut intégrée à l’expansion territoriale française, pendant le Triennio révolutionnaire et, plus tard, à l’intérieur du système fédératif impérial : c’est à ce moment que le Sud de l’Italie fut conçu comme une sorte de frontière de la civilisation d’où lancer un nouveau plan de conquête civilisatrice de la Méditerranée. Pour ces motifs, nous ne bornerons pas notre analyse aux limites spatiales de l’Italie méridionale ni à la chronologie conventionnelle de la fin de l’Ancien Régime. Au contraire, notre point de repère sera un des plus captivants parcours biographiques de l’émigration politique italienne à l’époque révolutionnaire [Anna Maria Rao, Esuli. L’emigrazione politica italiana in Francia (1792-1802), Naples, Guida, 1992.], celui du patriote salernitain Matteo Galdi (1765-1821). Il nous amènera jusqu’en Hollande en 1806, au terme d’une période de bouleversements culturels entre les deux siècles.

Collection

Documents Villes

Titre

La frontière de la civilisation. Royaume de Naples et Méditerranée dans les écrits des illuministi méridionaux

Titre Alternatif

in L'invention des midis

Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg.

Langue

Format

pp 31-45

Source

Openedition books (consulté le 7 mai 2024)

Droits

Libre de droits