Description

[Extrait]
Abandonnée à un temps immobile, cette île lointaine constituait, pour qui l’observait depuis l’Orient, la limite extrême de l’horizon, l’endroit où se trouvaient les portes du soleil et où on prenait les barques pour l’Hadès. La mer Tyrrhénienne (la mer des constructeurs de tours) dans laquelle l’île était émergée était le Mare Inferum, la mer des Enfers, signalée par des rochers en forme de pilastre, les colonnes d’Hercule.
À la fin de l’Antiquité, la Sardaigne était donc environnée d’une auréole mythique qui a contribué de façon déterminante à la construction imaginaire de cette terre immobile, hors du temps, sauvage et terrible à la fois, distincte et irrémédiablement éloignée des autres civilisations, italiennes, européennes, et méditerranéennes.
Au XVIIe siècle, le visiteur général Martin Carillo dut analyser les caractéristiques anthropologiques des Sardes afin de confirmer leur appartenance à la famille des peuples de l’Europe civilisée, à propos de laquelle naturellement on ne disposait pas de certitudes suffisantes [ Stefano Pira, « Lo sguardo straniero sulla Sardegna moderna », Cooperazione Mediterranea, 1-2, 2003.]. En 1828, le capitaine britannique William Henry Smith, constatant l’absence d’un traité en langue anglaise au sujet de l’île fit imprimer un volume entièrement consacrée à celle-ci, dans l’introduction duquel il écrit :
Au cours des deux visites que j’ai faites en Sardaigne au cours des dernières guerres [napoléoniennes], j’ai été convaincu qu’en résistant à l’assimilation du vernis de la civilisation, cette île avait conservé une large part de son caractère primitif. [William Henry Smyth, Sketch of the present state of the island of Sardinia, Londres, John Murray, 1828.]
Et 90 ans plus tard, David H. Lawrence donnait un nouvel éclat à ce caractère ancestral de la Sardaigne et de ses habitants :
Voici un nouveau paysan – un jeune cette fois-ci, à l’œil vif, à la joue dure, aux cuisses dures et dangereuses. Il a rabattu son bonnet, en sorte que l’extrémité lui en tombe sur le front, comme un bonnet phrygien. Il porte des culottes serrées et un étroit gilet à manches, de grosse étoffe marron qui ressemble à du cuir. Sur le gilet, il a passé une espèce de cuirasse en peau de mouton noire, tirant sur le roux. Et il va à longue enjambées et cause avec un camarade. Comme il est fascinant, après avoir vu tous ces doux Italiens, d’apercevoir ces jambes dans leur étroite culotte, si bien dessinées, si viriles, encore fortes de l’antique violence. On se rend compte avec horreur que la race des hommes s’est presque éteinte en Europe. Il n’y reste que des héros dans le sens chrétien, des Don Juan idolâtres de la femme et des métis enragés d’égalité. L’ancien mâle, vigoureux et indomptable a disparu. La farouche authenticité s’est tarie. Elle jette ses dernières étincelles en Sardaigne et en Espagne. Il ne subsiste plus qu’un troupeau des prolétaires, un égalitarisme bâtard de troupeau, et des âmes cultivées, inquiètes, empoisonnées, toujours prêtes au sacrifice. Détestable ! [David Herbert Lawrence, Sardaigne et Méditerranée, Paris, Charlot, 1946, p. 110-111.]

Table des matières

1. La modernité sarde
2. Les origines du mythe
3. Une diversité inventée
4. Du XIXe au XXe siècle : le

Titre

Généalogie d’un mythe. Le cas de la Sardaigne.

Titre Alternatif

in L'invention des midis

Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg, Collection Sciences de l'histoire

Date

2015
19/09/2019 (publication numérique)

Format

pp. 63-76, 218 pages

Source

Openedition books (consulté le 7 mai 2024)

Droits

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