Description

Promenade littéraire dans cette ville "que l'on feuillette en marchant" en compagnie d'Aragon, Gary, Modiano, Le Clézio ou Mauriès.

Nice est une ville où l’on se promène volontiers. Sur le "camin dei Anglès", devenu la légendaire artère que l’on connaît, comme dans les ruelles ombragées de la vieille ville, les hauteurs ou les quartiers où les touristes se gardent bien de s’aventurer, à petite foulée, à grandes enjambées on flâne, on prend l’air, on dérive ou l’on erre. La marche affûte le corps et l’esprit. Certains l’envisagent même comme un exercice littéraire. Ce n’est pas un hasard si Nice est aussi une ville où beaucoup ont écrit.

Voilà qui aura probablement échappé à tous ceux prompts à dégainer les idées préfabriquées (on dit la ville exclusivement peuplée de personnes âgées, d’aspirants à émissions de télé réalité, de racistes décomplexés, ou de mafieux sur le retour - pire : il en est même pour vous assurer qu’il y a bien des haricots verts dans la salade niçoise), mais Nice est un lieu qui se dérobe vite aux clichés.

En témoignent ceux qui y sont nés (J.M.G. Le Clézio, Louis Nucera) ou "presque" (Romain Gary), y sont passés (Patrick Modiano), y ont grandi (Patrick Mauriès, Maryline Desbiolles), étudié et aimé (Guillaume Apollinaire), s’y sont réfugié (Aragon) ou s’y sont installés (Matisse ?). Ici, donc, pas de carte postale aux teintes saturées mais plutôt un kaléidoscope. Fascinante combinaison de motifs réfléchissant à l’infini et en couleurs la lumière extérieure. Car s’il est un point commun à ces auteurs si différents, c’est bien une certaine fascination pour la lumière locale. Les peintres ne s’y sont pas trompés : "Quand j’ai compris que chaque matin je reverrais cette lumière, Je ne pouvais croire à mon bonheur !", s’enthousiasme Henri Matisse, qui s’y installe en 1917 et y demeure jusqu’à sa mort. Là, il fréquente Aragon qui s’y trouve réfugié avec Elsa Triolet durant la dernière guerre. De ces rencontres émergera Henri Matisse, roman, publié 29 ans plus tard alors que le peintre repose déjà au cimetière de Cimiez.

C’est dans ce quartier que le personnage principal de Dimanche d’août de Patrick Modiano erre comme un fantôme au milieu de ses congénères. Il y est question des pins parasols et des immeubles qui se découpent net sur le ciel, de ces douces journées d’hiver et du printemps si beau qu’il revêt un aspect presque inquiétant. Au siècle précédent, c’est sur Nietzsche que la "magnifique plénitude de lumière" exerce un effet quasi miraculeux. "Je m’en tiendrai à Nice comme à un fragment de fatalité", écrit-il à son ami Peter Gast. Il y séjourne cinq fois, profitant sur les sentiers de la proche montagne ou la presqu’île de Saint-Jean "de ce que la nature a à nous offrir de plus exquis", et découvrant Dostoïevski à la librairie Visconti, salon et cercle de lecture fréquenté par les intellectuels de la fin du XIXe siècle. Pour Patrick Mauriès, auteur du très beau Nietzsche à Nice (2009), la ville trouve dans le philosophe son style même, la traduction naturelle de cette lumière intense à la fois fraîche et brûlante. De l'"odor di Nizza", Patrick Mauriès, retient un mélange d’allégresse et de lenteur. Dans ce court mais sublime récit que constitue Dans la baie des Anges (2012), il écrit : "Alacrité de la pensée dans cette atmosphère sèche et aérée, dans cette lumière d’aplomb qui détache discrètement le grain des choses ; indolence que nourrissent la douceur du climat, la torpeur des débuts d’après-midi, l’illusion d’y voir les choses, la vie, s’y réduire à l’essentiel." Arpentant la ville de l’Eglise russe au temple protestant néogothique de l’avenue Victor-Hugo en passant par les villas mauresques et autres "folies", Mauriès raconte un lieu qui "se pare de défroques empruntées, joue de mémoires importées, s’enivre d’allusions et d’architectures entre guillemets", faisant ainsi écho à une certaine idée de la littérature.

L’on voudrait faire passer Nice pour une ville essentiellement fermée, hostile à l’étranger, résumable en un tract politique d’à peine une demi-page. C’est oublier que la ville fut depuis toujours un lieu de brassage de peuples, d’idées et de styles - terre d’accueil pour beaucoup d’Italiens venus y trouver refuge ou travail mais aussi pour de nombreux Russes, Polonais, Arméniens, Pieds noirs, Maghrébins, Africains, etc. Parmi ces "étrangers" : Romain Gary qui en 1928 débarque à Nice avec sa mère issue des "confins de la steppe russe, d’un mélange de sang juif, cosaque et tartare." Pourtant, lorsque à la fin de la guerre, Sa Majesté la Reine Elizabeth vient rencontrer son escadrille sur le terrain de Hartford Bridge et lui demande d’où il est originaire, il répond spontanément : "De Nice !". "Chère ville presque natale" racontée dans La Promesse de l’Aube (1960) comme un décor consolateur au spleen et aux malheurs. "Le mimosa était en fleurs, le ciel était très bleu, et le soleil faisait de son mieux. Je pensai soudain que le monde donnait bien le change. C’est ma première pensée d’adulte dont je me souvienne.".

Il faut dire que, comme l’a écrit Le Clézio, grandir à Nice (et plus particulièrement sur le Port) n’est pas une chance donnée à tout le monde. Dans un texte écrit pour le centenaire du rattachement de la ville à la France, il évoque mieux que quiconque "cette liberté de l’air, ce feu du soleil, ce brassage de la mer quand les idées semblent jaillies naturellement et se mêlent au souffle venu de l’autre rive, au silence de l’Afrique, et à la rumeur des plus vieilles villes du monde".

Nice c’est ce glorieux bord de mer et "le flot méditerranéen que jamais on oublie" dont parlait Apollinaire, qui y étudie et y tombe amoureux de Lou. Mais c’est aussi ses quartiers populaires, ses marges et ses périphéries. Celles où les touristes ne s’aventurent que peu. Il y a l’Ariane. Cité Est de la ville où Marilyne Desbiolles tissait en 2009 avec C’est pourtant pas la guerre un récit des multiples témoignages recueillis dans ce quartier dit "sensible", conférant aux murmures de ces voix venues d’Algérie, de Somalie, d’Italie la puissance des écrits. Il y a, aussi, l’Avenue des Diables-Bleus, qui donne son titre au beau livre de Louis Nucera. L’écrivain et gloire locale y raconte la Nice ouvrière, sur la rive gauche du Paillon, loin des fastes de la Promenade des Anglais. Nucera mettra toute sa vie un soin particulier à rendre hommage aux minuscules "héros de son existence", "habitants de Saint Roch ou de Riquier, de Carras ou du port, de Garibaldi ou de la Place du Pin, du vieux Nice ou de Saint Maurice". De la majorité de ces quartiers il n’existe pas de carte postale. Ils sont, pourtant, le cœur de Nice. Celui où Nucera recherchait joliment "quelques mirages un peu périmés, des bouts de poésie", jamais rassasié du spectacle de la ville, ce livre que l’on "feuillette en marchant".

Collection

Documents Villes

Titre

Nice, sa lumière et ses écrivains

Créateur

Éditeur

Libération (Périodique ; Paris)

Date

2016

Langue

Source

Lire l'article sur Libération (consulté le 26/03/2020)

Droits

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