L’Orientalisme en Occident
Description
[Extrait]
L’intérêt politique et économique des Occidentaux pour l’Orient va évoluer au fil des siècles. Quelques repères historiques permettent de contextualiser nos lectures car la littérature, tout en ayant sa vie propre, s’inscrit dans un temps et une société.
À partir de la reconquête de Grenade, l’hégémonie arabe reflue, alors que l’Europe occidentale entre dans la période de la Renaissance et va partir à la découverte d’autres mondes : le pouvoir politique, économique et intellectuel se déplace vers l’ouest et s’exerce au-delà du cadre méditerranéen, vers le « Nouveau monde » des Amériques.
Parallèlement, l’Europe, et en particulier la France et l’Italie, redécouvre l’Antiquité grecque et romaine, qu’elle considère comme le berceau de la pensée occidentale. En témoignent, en France, le mouvement poétique de la Pléiade au XVIe siècle, puis au XVIIe siècle les tragédies classiques dont les thèmes sont le plus souvent issus de la mythologie ou de l’histoire antique.
Un Orient mis à distance
L’Orient, par contraste, apparaît peu dans la littérature à cette époque et seulement pour illustrer une forme d’exotisme lointain, avec les clichés que cette approche peut véhiculer. Dans la préface de sa tragédie Bajazet, qui se déroule à Byzance, Racine insiste sur cette distanciation :
« Ce sont des mœurs et des coutumes toutes différentes. Nous avons si peu de commerce avec les princes et les autres personnes qui vivent dans le sérail que nous les considérons, pour ainsi dire, comme des gens qui vivent dans un autre siècle que le nôtre. »
Jean Racine, Bajazet (1672), préface
La même distance est exploitée dans le registre comique par Molière sous deux modes : le cliché des fastes orientaux avec le Mamamouchi du Bourgeois gentilhomme (1670), qui tend vers le ridicule, et le cliché du pirate barbaresque, ressort dramatique qui permet des retournements de situation par la révélation de l’identité de personnages enlevés par des pirates (L’Avare, 1668 ; Les Fourberies de Scapin, 1671). Images assez négatives et réductrices, voire hostiles comme dans Le Cid de Corneille (1637), où les Maures sont qualifiés de « rudes ennemis » qui constituent un « danger pressant ».
Paradoxalement, c’est le même phénomène de distanciation qui, au siècle suivant, va réhabiliter en quelque sorte la figure de l’Oriental, dans un contexte politique et économique favorable qui voit se développer les relations commerciales entre la France et le Levant au début du XVIIIe siècle. Dans la même période, les récits de voyage en Orient (Tavernier, 1681, et Chardin, 1686), puis la traduction des Mille et une nuits par Antoine Galland en 1704, ont fourni une matière nouvelle à la connaissance de l’Orient, débarrassée des clichés, du moins en partie, et objet de curiosité. Ce nouveau regard porté sur l’Orient, qui deviendra même une mode, va susciter l’intérêt d’écrivains au XVIIIe siècle. Montesquieu d’abord, en publiant les Lettres persanes en 1721, utilise le procédé du regard à distance, celui de deux voyageurs persans en France, pour développer une réflexion critique sur les mœurs et la politique françaises. Un peu plus tard, en 1748, Voltaire va plus loin avec le conte intitulé Zadig, en dénonçant non seulement les travers de la société française sous le masque de Babylone, mais aussi le despotisme de la monarchie absolue.
Certes, l’Orient est un prétexte dans les deux cas, mais un prétexte philosophique qui échappe à la fois à l’exotisme de pacotille et au ridicule. Et, même si les personnages sont fictifs, il est intéressant de voir, pour la première fois, fonctionner le renversement du point de vue : Montesquieu et Voltaire se mettent à la place des Orientaux et leur donnent la possibilité de juger les Français. Le rapport est devenu un dialogue entre interlocuteurs dans une parité intellectuelle implicite.
Le désir d’Orient
Cette approche, encore indirecte puisque fictive, va basculer au tournant du XIXe siècle vers une véritable « mode » de l’Orient, associée à la naissance d’un mouvement artistique, tant dans la littérature que la peinture, appelé « l’orientalisme », dans un contexte politique d’expansion coloniale des grandes puissances européennes, notamment la France et l’Angleterre. Voyons rapidement comment ce mouvement est apparu.
Ce sont les sciences qui en ont posé les premiers jalons, sur fond d’enjeux politiques. Et parmi les sciences, linguistique et philologie, en toute logique, ont ouvert la voie : l’école des langues orientales a été créée en 1795 pour enseigner les langues « d’une utilité reconnue pour la politique et le commerce. » Mais, sous un angle différent, civilisationnel, l’étude de ces langues mettait en lumière, au-delà du latin et du grec, les racines indo-européennes, c’est-à-dire orientales, des langues romanes et, de ce fait, déplaçait les origines de la civilisation européenne vers l’Orient. Presque en même temps, en 1798, Bonaparte associait à sa campagne militaire en Égypte, qui fut un échec, une expédition scientifique d’envergure, qui, elle, fut une réussite et aboutit à la publication d’une encyclopédique Description de l’Égypte. Ce témoignage direct, mêlant observations de terrain des scientifiques (Berthollet, Monge, Geoffroy Saint-Hilaire, etc.) et représentations picturales (le peintre Redouté, le dessinateur et graveur Vivant Denon), ouvre la voie à ce que l’on a appelé « le désir d’Orient », mélange de curiosité exotique, de fascination et de sentiment d’étrangeté. Hugo, dans la préface des Orientales, justifie ainsi le thème de son recueil :
« On s’occupe aujourd’hui, et ce résultat est dû à mille causes qui ont toutes amené un progrès, on s’occupe beaucoup plus de l’Orient qu’on ne l’a jamais fait. Les études orientales n’ont jamais été poussées si avant. [...] Il résulte de tout cela que l’Orient, soit comme image, soit comme pensée, est devenu, pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale à laquelle l’auteur de ce livre a obéi peut-être à son insu. »
Victor Hugo, Les Orientales (1829), Préface
Une « préoccupation générale », en effet, qui se manifeste dans la littérature par les nombreux voyages d’écrivains et les ouvrages qu’ils ont pu écrire à leur retour. L’Orient va devenir une nouvelle destination pour les artistes, comme l’Italie l’avait été précédemment. Le « Grand Tour » s’étend jusqu’au Proche et Moyen Orient et devient le tour de la Méditerranée - ce qui a permis à Flaubert de donner dans son Dictionnaire des idées reçues cette définition de l’orientaliste : « Homme qui a beaucoup voyagé » !
Les récits de voyage sont donc une matière essentielle pour comprendre les représentations de l’Orient au XIXe siècle. Parmi les nombreux voyageurs en Orient, on peut citer les plus célèbres : Chateaubriand, Lamartine, Théophile Gautier, Nerval et Flaubert. Leurs récits sont subjectifs : les écrivains ne sont pas des ethnologues et chacun va infléchir la représentation de l’Orient en fonction de son univers personnel. Mais, sans les passer tous en revue, ce qui serait beaucoup trop long, il est intéressant de repérer quelques constantes dans leurs approches, notamment les préconstruits culturels occidentaux (voire les préjugés) sur l’Orient qui font écran, parfois même obstacle, entre les voyageurs et leur confrontation au réel. Cependant, s’ils emportent le même bagage culturel, tous ne réagissent pas de la même façon au contact avec l’autre et l’ailleurs, et nous verrons que des divergences se manifestent dans le passage de l’Orient imaginé à l’Orient vécu.
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Titre
L’Orientalisme en Occident
Date
28/11/2019
Langue
Source
eduscol.education.fr
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