Description

[Extraits]
Le paysage méditerranéen qui se déploie dans l’œuvre d’Albert Camus doit sa densité à une grande configuration d’images à fondement symbolique qui traduisent à plus forte raison la primauté de l’imaginaire méditerranéen qui nourrit l’écriture de l’écrivain algérois. Si produire une image est un acte mythique majeur qui consiste à donner forme et vie à une idée, il est naturel de concevoir toute image comme « création », au sens strict : « genèse ». De là vient d’ailleurs la fécondité des symboles et archétypes qui alimentent sans cesse l’imaginaire vivant qui irrigue l’écriture camusienne. C’est bien cette étonnante disposition métaphorique et symbolique marquant de son signe radieux les « essaims » d’images qui répètent des mythèmes obsessionnels dans l’œuvre, qui nous intéresse autant qu’elle intéresse l’auteur. L’imagination créatrice n’étant plus cette « folle du logis » qui induit en erreur, toute raison s’élabore désormais de son terreau. C’est ainsi qu’elle impliquerait aussi, plus spécifiquement, ce siège de la conscience profonde que Gaston Bachelard a nommé dans La Terre et les rêveries du repos « l’imagination matérielle » conjuguant sensations, rêveries substantielles, les défoulements et les refoulements, les pulsions et les répulsions que suscitent certains éléments, certaines matières qui imprègnent le monde extérieur.
Cette approche nous permettra d’étudier le faisceau d’images méditerranéennes typiquement camusiennes ainsi que les liens qui les unissent au plus profond des textes. Possédant une cohérence pertinente et un soubassement profond ainsi que l’a montré Bachelard dans La Psychanalyse du feu, ces images frappantes à portée symbolique relèvent-elles à vrai dire d’une sorte de « métaphore obsédante » chère à la critique thématique fondée sur l’étude des sensations ? En outre, la « redondance » étant un phénomène fondateur du mythique selon L’Introduction à la mythodologie de Gilbert Durand, ces différentes images méditerranéennes sont-elles à dessein ressuscitées et ressassées de manière à acquérir des propriétés symboliques et mythiques dans l’œuvre de Camus ? Seraient-elles, au demeurant, en étroite relation avec ces quelques images, primordiales et élémentaires, simples et grandes, que Camus a évoquées dans la préface de L’Envers et l’Endroit et qui dessineraient peut-être une sorte de « mythe personnel » selon la célèbre formule de Charles Mauron ?
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Les rêveries de l’exil à travers les images terrestres de L’Envers et l’Endroit et La Mort heureuse
À l’abri des rivages désenchantés, le parcours du jeune Camus ressasse un désir hautement spirituel, source de bonheur, de dépouillement et de dénuement. Toutefois, l’amour de vivre cède paradoxalement la place au désespoir de vivre dès que l’auteur s’expose à l’expérience de l’exil. C’est cette idée que souligne Hélène Rufat qui met en lumière l’importance cruciale de la constellation mythique de la terre clairement fondée sur une tension entre l’exil et le royaume : « Ainsi les personnages, masculins ou féminins, qui évoluent dans ses œuvres se situent-ils en fonction de leurs relations non pas tant avec le soleil ou la mer qu’avec la terre méditerranéenne : plus en sont éloignés, au sens propre ou figuré, moins ils se sentent heureux de vivre. »[32] Cette dynamique du lieu présent et du lieu perdu, les transformations qu’elle imprime aux paysages et objets évoqués, instaure une opposition irréductible entre deux mondes irréconciliables parce que définitivement dissemblables : l’exil et le royaume.
Vivre au plus près du royaume, des rivages enchantés de l’enfance, c’est en quelque sorte bénéficier d’une vision réconciliée des êtres et des choses. Le référent méditerranéen se trouve souvent fécondé par la sollicitation élogieuse de la terre d’origine ainsi que par le rituel baptismal de l’écriture, ce en quoi il se distingue en particulier de l’exil. C’est dans ce sens que L’Envers et l’Endroit, précisément les essais intitulés « La mort dans l’âme » et « Amour de vivre », éminemment importants dans l’itinéraire spirituel de l’écrivain, sont conçus sous le signe paradoxal de ce bonheur d’être en butte contre le désespoir. En effet, le premier, placé au centre du recueil, est inspiré du périple cauchemardesque qui conduit Camus, en juillet 1936, en Europe centrale et en Italie ; lequel donnera aussi naissance à quelques pages de La Mort heureuse. Quatrième et avant-dernier essai de L’Envers et l’Endroit, « Amour de vivre » relate, quant à lui, une expérience antérieure à celle de « La mort dans l’âme » puisqu’il est né du voyage de Camus aux Baléares pendant l’été 1935. Mais s’il est placé après lui, c’est parce qu’il représente, dans l’itinéraire spirituel de l’auteur, une étape ultérieure. Après avoir fait la double expérience de l’extase et de la déréliction dans « La mort dans l’âme », celui-ci peut alors affirmer le lien indissociable entre l’amour de vivre et le désespoir de vivre.

Titre

Les images mythiques de la Méditerranée camusienne : pour une contribution sur la prégnance de l’imaginaire méditerranéen

Créateur

Éditeur

The Dissident

Date

04/02/2018

Langue

Source

https://the-dissident.eu
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