Description

Résumé
L’œuvre de Paolo Conte, l’un des grands chanteurs-compositeurs italiens contemporains, est intimement liée à la plaine du Pô de l’après-guerre. Elle mobilise également des références géographiques plus exotiques, de l’Amérique du Sud à Zanzibar, selon une stratégie de déplacement allégorique qui permet au poète de donner aux histoires ordinaires une portée plus ample, sinon universelle. La pensée spatiale de Paolo Conte est structurée par deux archétypes géographiques intimement liés : la province et l’ailleurs. La première est caractérisée par la brume et l’ennui, la deuxième apparaît comme une promesse de bonheur et une échappée vers l’exotisme.

[Extraits]
Le texte littéraire peut être considéré comme une source précieuse, par exemple, pour « comprendre le paysage […] également […] en termes de comportement, de sensations, d’idées de sentiments, d’espoirs et de foi » (Lando, 1994, p. 14). En tant que membre d’une communauté qui entretient un rapport affectif et identitaire particulier avec les lieux et les paysages, l’écrivain transmet des compétences, des valeurs et des significations (le sens du lieu, la conscience ethnico-territoriale, l’enracinement) qu’un groupe humain projette sur les espaces qui constituent le cadre de la vie de tous les jours. En second lieu, de la conviction que la chanson, comme la littérature, est une source pour saisir le sens et la signification qu’une société attribue au territoire. La chanson, en effet, selon Edgar Morin (1965, p. 5) est « le plus quotidien des objets de consommation quotidienne » et traverse tous les milieux, toutes les classes et tous les âges ; elle est à son tour traversée « par des réseaux d’images, des leitmotive, des obsessions, des visions du monde qui tirent leur unité d’un artiste en ses temps et ses espaces » (Gaulin, 1995, p. 9).
Comme Paolo Conte l’explique à plusieurs reprises, Genova per noi [Gênes pour nous] est une chanson sur le choc entre la campagne et la mer et sur l’angoisse de celui qui, vivant au milieu de l’immobilité de la campagne, se trouve face au paysage mobile de l’eau (« Mais quelle peur nous fait cette mer toute sombre/qui s’agite même la nuit/et ne se tient jamais tranquille » [Note : Dans ce paragraphe, toutes les traductions de Paolo Conte sont de Monique Malfatto (1989).]
La rencontre entre ces deux paysages géographiques et humains est produite par un mouvement de l’arrière-pays à la côte, du piémont à la Ligurie, puis dans le sens inverse. Au contraire, dans la chanson Chi guarda Genova [Ceux qui regardent Gênes] du chanteur-compositeur Ivano Fossati, on rencontre un véritable renversement de perspective : « Chi guarda Genova sappia che Genova/si vede solo dal mare » [« Que celui qui regarde Gênes sache que Gênes/se voit seulement depuis la mer »]. Comme dans le « perspectivisme » de Leibniz, la même ville regardée de différents points de vue paraît toute autre et elle est comme multipliée : tout en se rapportant au même référent, les deux artistes articulent leur représentation de façon très différente [Note : Ce n’est peut-être pas un hasard qu’Ivano Fossati, à la différence de Paolo Conte, soit originaire de Gênes.] Pour un autre exemple de changement de perspective, voir encadré 1.
Encadré 1/ Territoire de l’été
Un autre exemple de « renversement de perspective » nous est donné par des chansons comme Azzurro, Una giornata al mare et Un gelato al limon. Elles désavouent un à un tous les stéréotypes des « chansons balnéaires » (Gentile, 2005) qui étaient à la mode en Italie dans les années soixante : les grandes vacances, la mer, le soleil, les parasols sur la plage, le bronzage, les amours d’été, l’insouciance… Azzurro [Azur] – portée au succès par Adriano Celentano en 1968 – met au centre l’abandon et la solitude de celui qui reste dans la ville : « Je cherche l’été toute l’année/et à l’improviste le voici/elle est partie pour les plages/je reste seul là-haut en ville » ; ce sentiment d’être un étranger, loin du brouhaha du monde, est également au cœur de la chanson Una giornata al mare (Une journée à la mer) : « Les rires des dames me pleuvent sur la tête/…/Une journée à la mer/pour ne pas mourir/à l’ombre d’un rêve » ; Un gelato al limon [Une glace au citron] narre « la sensualité des vies désespérées » absorbées au fond d’une ville pendant que « la nuit chaude nous fera fondre ». Solitude, spleen, ombres, désespoir…, toutes les qualités habituellement associées dans la société de consommation aux territoires de l’été sont renversées (la traduction des chansons est ici de Monique Malfatto, 1989).

[…] Pour un homme d’Asti un peu sauvage comme notre auteur, même un simple voyage d’une journée en Ligurie, à Gênes, se transforme en un parcours qui donne libre cours au trouble de ceux qui rêvent de paysages autres : la mer comme l’ailleurs de la campagne. Ce qui importe est de fuir : l’ailleurs est le non-ici.
[…] le répertoire du chanteur déborde de géographie, de lieux, de paysages et de voyages (plus imaginés qu’effectivement réalisés), de fragrances et de saveurs familières ou insolites (« Pendant que nous regardons Gènes/Chaque fois nous la reniflons » et « Tandis qu’à l’ombre de leurs placards/Attendent chemises et vieilles lavandes » dans Genova per noi [Gênes pour nous]). Ces notations ont également une tonalité générationnelle.

Table des matières

Plan

  1. Un écrivain de chansons de paysage
  2. Représentation des lieux et poétique de Paolo Conte : les « médiateurs emblématiques »
  3. La tension entre la province et l’ailleurs
  4. Déplacement allégorique et signification universelle

Collection

Documents Villes

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Gênes (Italie)

Titre

Entre la province et l’ailleurs. Les chansons de Paolo Conte : une contribution à penser l’espace


Titre Alternatif

in Revue L’Espace géographique 2016/4 (Tome 45)

Créateur

Éditeur

Revue "L’Espace géographique "2016/4 (Tome 45), pages 342 à 354

Date

2016/4 (Tome 45)

Langue

Format

pages 342 à 354

Source

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Non libre de droits