Description

L'Antiquité revisitée
La passion des artistes pour le Sud a des origines plus lointaines que ne le laisse supposer l'exposition. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, peintres, sculpteurs et dessinateurs (de même que les membres de l'élite européenne) se devaient de réaliser le "Grand tour", un voyage de deux à trois ans passant par les grandes villes italiennes. Il s'agissait surtout pour les artistes de recopier les maîtres de la Renaissance (Michel-Ange, Raphaël...) et les grandes œuvres de l'Antiquité (des fouilles permettent de redécouvrir les sites ensevelis d'Herculanum et de Pompéi au XVIIIe siècle).

Au XXe siècle, le Midi rappelle toujours la Grèce et la Rome antique à certains peintres. Loin des grandes villes, ils continuent d'y poursuivre un rêve hédoniste, peuplé de dieux et de créatures inspirées de la mythologie.

Charles Camoin, "Terrasse à St-Tropez", 1905. Huile sur toile, 74 x 110 cm. Centre national des arts plastiques, dépôt au musée des Beaux-Arts de Nice, 1952. (CNAP / PHOTO MARUIEL ANSSENS - MUSEE DES BEAUX-ARTS DE NICE / ADAGP, PARIS 2013)
avatarElodie RatsimbazafyFrance Télévisions

Mis à jour le 14/06/2013 | 22:21
publié le 14/06/2013 | 17:10
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C'est l'expo-événement de la capitale européenne de la culture. "Le Grand Atelier du Midi" est le projet le plus ambitieux de Marseille-Provence 2013 : du 13 juin au 13 octobre, cette exposition en deux volets, l'un au palais Longchamp de Marseille, l'autre au musée Granet d'Aix-en-Provence, réunit près de 200 œuvres.

L'ambition de ce blockbuster annoncé ? Comprendre pourquoi, de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle, le bassin méditerranéen a connu une ruée vers l'art, accueillant, du Nord de l'Espagne aux Alpes italiennes, de l'Afrique du Nord à la Côte d'Azur, des centaines de peintres. Le Midi, au sens large, a eu beaucoup de succès : le port de l'Estaque, à Marseille, a vu passer Renoir et l'Aixois Cézanne, Matisse a peint à Nice et Collioure, Picasso s'est successivement installé à Antibes, Cannes, Mougins...
Une autre lumière, d'autres couleurs

Fondamentalement, ce qui attire les peintres vers le Midi comme autant de papillons de nuit, c'est la lumière, qui fait vibrer les couleurs, découpe les formes, accentue les contrastes entre le clair et l'obscur.

Vincent van Gogh, \"L’Arlésienne, Madame Ginoux\", 1888. Huile sur toile, 91 x 73 cm. Paris, musée d’Orsay.
Vincent van Gogh, "L’Arlésienne, Madame Ginoux", 1888. Huile sur toile, 91 x 73 cm. Paris, musée d’Orsay. (RMN - GRAND PALAIS (MUSEE D’ORSAY) / GERARD BLOT)

Observez par exemple cette Arlésienne peinte par Van Gogh. Si ce tableau est si saisissant, c'est d'abord parce que l'artiste à l'oreille coupée oppose un jaune d'or éblouissant au noir de jais des cheveux ainsi qu'au vert sombre du costume et de la table. Le Hollandais s'émerveille devant les paysages du Midi. C'est là, à la fin de sa courte carrière, que sa palette se fait de plus en plus solaire, ponctuée de jaunes tirant vers le blanc, d'oranges incandescents ou de verts acides (comme avec ces iris peints à Saint-Rémy). Dans une lettre écrite le 17 octobre 1888 à Arles, il demande à son frère, Théo, de conseiller à tous les peintres de venir s'exercer dans cette région où "le soleil est plus fort". C'est d'ailleurs lui qui utilise l'expression "l'atelier du Midi" donnant son titre à l'exposition : il rêvait de fonder dans le Sud de la France une communauté d'artistes posant un œil neuf sur la nature.

L'atelier imaginé par Van Gogh ne verra jamais le jour. Mais de grandes révolutions artistiques s'épanouiront sous le soleil méditerranéen. C'est à Saint-Tropez que Paul Signac crée cette toile lumineuse :

Paul Signac, \"Femmes au puits\", 1892. Huile sur toile, 195 x 131 cm. Paris, musée d\'Orsay.
Paul Signac, "Femmes au puits", 1892. Huile sur toile, 195 x 131 cm. Paris, musée d'Orsay. (RMN-GRAND PALAIS (MUSEE D’ORSAY) / HERVE LEWANDOWSKI)

Le peintre pointilliste a fui Paris pour s'installer dans la petite ville portuaire, où il séjourne pendant plus de vingt ans et perfectionne sa technique. Le lieu est idéal pour poursuivre ses recherches sur la lumière. Cette scène anecdotique (deux Provençales tirent l'eau d'un puits devant la citadelle et la jetée du port de Saint-Trop') est en effet surtout un prétexte pour rendre toute la luminosité de sa peinture, la grande lubie des pointillistes, comme nous vous l'expliquions dans un précédent article. A coups de petites touches de couleur disposées méthodiquement, il réussit à créer une image qui semble rayonner.

C'est également près de la Méditerranée que se développe un autre grand courant de la peinture : le fauvisme.

André Derain, \"Le Faubourg de Collioure\", 1905. Huile sur toile, 59,5 x 73,2 cm. Paris, Centre Pompidou, musée national d’art moderne, achat en 1966.
André Derain, "Le Faubourg de Collioure", 1905. Huile sur toile, 59,5 x 73,2 cm. Paris, Centre Pompidou, musée national d’art moderne, achat en 1966. (CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN-GRAND PALAIS / PHILIPPE MIGEAT.ADAGP, PARIS 2013)

Matisse et Derain se retrouvent en 1905 à Collioure, petit port des Pyrénées orientales, pour tenter de trouver une nouvelle manière de peindre. Derain est saisi par "une lumière blonde, dorée, qui supprime les ombres". Ce paysage rend bien la violence de ses sensations : les couleurs pures, tout justes sorties du tube, sont posées sur la toile. La lumière semble même écraser la perspective, qui n'est rendue que par une succession de plans (le port, puis l'eau et le village). Derrière le côté très spontané, presque enfantin de l'exercice, on remarque que le peintre veille à opposer les couleurs complémentaires (rouge / vert, bleu / orange) et crée une diagonale, dessinée par les quais, pour renforcer le dynamisme de sa composition.
Une terre pour célébrer la joie de vivre

Les artistes se rendent aussi dans le Sud pour profiter d'une certaine douceur de vivre. C'est le cas par exemple de Charles Camoin, né à Marseille, parti poursuivre ses études à Paris, mais qui est retourné toute sa vie à Saint-Tropez. Il peint, comme nombre de ses collègues, les femmes alanguies sur les terrasses.

Charles Camoin, \"Terrasse à St-Tropez\", 1905. Huile sur toile, 74 x 110 cm. Centre national des arts plastiques, dépôt au musée des Beaux-Arts de Nice, 1952.
Charles Camoin, "Terrasse à St-Tropez", 1905. Huile sur toile, 74 x 110 cm. Centre national des arts plastiques, dépôt au musée des Beaux-Arts de Nice, 1952. (CNAP / PHOTO MARUIEL ANSSENS - MUSEE DES BEAUX-ARTS DE NICE / ADAGP, PARIS 2013)

Observez bien sa toile, ci-dessus. Rien ne vous choque ? Les ombres ont disparu ! Du moins, elles sont seulement suggérées par des couches de couleur plus ternes, mais l'image ne contient pas de noir. D'abord tenté par le fauvisme, ce "peintre du bonheur" utilise par la suite, comme ici, des teintes plus douces. Seul le motif éclatant de la robe rappelle qu'il a longtemps peint aux côtés de Matisse (comparez le vêtement à La Blouse roumaine, conservée au Centre Pompidou).

Séduit par des paysages contrastés (mer, montagne), les peintres célèbrent aussi une région où l'homme peut vivre de manière harmonieuse avec la nature.

Henri-Charles Manguin, \"La Baigneuse\", 1906. Huile sur toile, 116,5 x 89,5 cm. Musée de Grenoble.
Henri-Charles Manguin, "La Baigneuse", 1906. Huile sur toile, 116,5 x 89,5 cm. Musée de Grenoble. (MUSEE DE GRENOBLE / ADAGP, PARIS 2013 / PHOTO JEAN-LUC LACROIX)

Cette baigneuse sculpturale peinte par un autre fauviste, Henri-Charles Manguin, fait corps avec la mer. Sa peau prend les mêmes reflets bleu et vert que l'eau. Le tableau évoque Les Grandes Baigneuses de Cézanne, qui elles aussi se fondaient dans le paysage. Manguin décrit un plaisir relativement récent lorsqu'il peint sa toile, en 1906 : la mode des bains de mer s'est développée seulement à la fin du XIXe.

Pour autant, la subjectivité des artistes prend parfois le dessus, et d'autres tableaux composés dans le Sud sont nettement plus inquiétants.
Chaïm Soutine, \"Place du village, Vence\", 1929. Huile sur toile, 70,8 x 45,7 cm, Collection Larock Granoff.
Chaïm Soutine, "Place du village, Vence", 1929. Huile sur toile, 70,8 x 45,7 cm, Collection Larock Granoff. (ADAGP, PARIS 2013 / PHOTO SERGE VEIGNANT)

C'est le cas par exemple ci-dessus, avec ce grand frêne de la place de Vence dont les ramifications noires et torturées mangent presque tout l'espace de la toile. L'œuvre est signée Chaïm Soutine, elle fait partie d'une longue série réalisée par le peintre en 1929 reprenant le même motif. La nature, majestueuse ailleurs, semble ici écrasante, et sous un soleil implacable le jeu des ombres dans l'arbre se fait menaçant.
L'Antiquité revisitée

Cette passion des artistes pour le Sud a des origines plus lointaines que ne le laisse supposer l'exposition. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, peintres, sculpteurs et dessinateurs (de même que les membres de l'élite européenne) se devaient de réaliser le "Grand tour", un voyage de deux à trois ans passant par les grandes villes italiennes. Il s'agissait surtout pour les artistes de recopier les maîtres de la Renaissance (Michel-Ange, Raphaël...) et les grandes œuvres de l'Antiquité (des fouilles permettent de redécouvrir les sites ensevelis d'Herculanum et de Pompéi au XVIIIe siècle).

Au XXe siècle, le Midi rappelle toujours la Grèce et la Rome antique à certains peintres. Loin des grandes villes, ils continuent d'y poursuivre un rêve hédoniste, peuplé de dieux et de créatures inspirées de la mythologie.

Pablo Picasso, \"Barques de naïades et faune blessé\", 1937. Huile et fusain sur toile, 46 x 55 cm, collection particulière.
Pablo Picasso, "Barques de naïades et faune blessé", 1937. Huile et fusain sur toile, 46 x 55 cm, collection particulière. (PHOTO MAURINE AESCHIMANN, GENÈVE / SUCCESSION PICASSO)

De là ces naïades et ce faune blessé (issus respectivement de la mythologie grecque et romaine), peints par Picasso, qui a passé la seconde moitié de sa vie dans le Sud de la France. Difficile d'interpréter cette image cruelle dans laquelle le faune, généralement joyeux et célébrant le plaisir, se meurt sur une plage sous le regard indifférent des naïades.

Titre

Barques de naïades et faune blessé

Éditeur

Collection particulière
PHOTO MAURINE AESCHIMANN, GENÈVE / SUCCESSION PICASSO

Date

1937

Format

Huile et fusain sur toile, 46 x 55 cm

Droits

Non libre de droits