Description

Résumé de l'éditeur :

"Comme tous les soirs je quittai la pension, ce jour-là aussitôt après dîner et marchai à travers les rues neuves du Vomero jusqu'au parapet de la forteresse, d'où l'on domine toute la ville : une masse énorme et confuse piquée de lumières. Ce qui me frappa ce soir-là ce fut le caractère informe de cette masse et l'impossibilité où j'étais de la délimiter. Elle s'étendait rigoureusement plate, comme une tache d'encre, dont les bavures prennent les directions les plus absurdes. Loin d'éprouver le soulagement que me donnait la contemplation des villes au crépuscule, cette vue m'attristait ; c'est trop peu dire, elle m'accablait d'un poids insupportable. Je suffoquais. Et brusquement, je revins à deux ans en arrière, à ce soir de novembre - et nous étions encore en novembre - où de cette même place, j'avais considéré Naples, avec la même impression d'accablement. C'était la fin de mon voyage et c'était la fin du monde. [...] Et c'était là que j'avais décidé de vivre..."

Citations

I/

"Je ne distinguais pas les arbres ni les fleurs ni les plantes, heureux de me sentir baigné dans cette confusion que provoque l’approche du midi. Dans ces heures du milieu du jour il n’y avait rien d’ailleurs qui m’intéressât particulièrement et je me laissais vivre, je me laissais porter par les vagues successives qui me venaient du soleil et qui s’étalaient devant moi. L’espace d’un moment que je m’efforçais de faire durer, je n’avais pas de problème à résoudre, d’inquiétude à calmer. Tout était bien comme c‘était." p. 18

Un compatriote raconte au narrateur la raison pour laquelle il s’est établi à Naples après avoir dépensé l’héritage de son oncle décédé en voyages :

"Au bout de deux ans j’avais dépensé presque tout mon argent car je vivais bien. Je revenais en France non sans regret : aucun lien de famille ne m’y attachait plus et j’avais pris goût aux pays du soleil […] je me plus beaucoup à Naples. C’était l’Europe et en même temps encore l’Orient, l’exotisme, que sais-je ! Je résolus de prolonger mon séjour. Les environs m’enchantaient : les îles, surtout les plus petites, celles que l’on peut parcourir à pied en un jour, Niside, Procida. A l’époque l’île à la mode, c’était Ischia. Vous vous rappelez que Lamartine y était allé, qu’il en avait fait le lieu d’origine de Graziella, issue d’une famille de pauvres pêcheurs. […] Quant à Capri, aujourd’hui si réputée dans le monde entier et à laquelle il ne manque qu’un Casino pour concurrencer Monte-Carlo, c’était la Nature même avec ses falaises sauvages, ses rochers abrupts et ses deux petits villages que reliait un sentier de chèvres. Et Sorrente, avez-vous vu Sorrente ? Avez-vous suivi la route qui mène de Sorrente à Amalfi ? Je ne me lassais pas de ces promenades entre ciel et mer." p. 37

Un autre compatriote lui explique :

"Tu le sais, j’ai vu Gênes, Florence, Pise et la suite, Rome bien sûr, et dans chacune de ces villes je me suis arrêté et j’ai mené une bonne vie ; mais c’est la mer qui m’attirait. On m’avait parlé de Positano comme d’une plage où l’on pouvait vivre à très bon marché, à deux heures de Naples."

[…]

"- Mon cher, je regarde le Vésuve pour voir de quel côté il dirige son panache. N’oubliez pas que je suis maintenant un vieux Napolitain – trois hivers que je viens ici ! Et c’est mon baromètre. Je connais le temps un jour à l’avance. Si le nuage de vapeur se dirige du côté de Capri, c’est signe de beau temps et le ciel restera clair ; d’il va du côté d’Ischia, nous auront le vent qui vient de Grèce, le "greco-levante" et il fera froid ; si le cratère se couvre de nuages épais, nous sommes menacés du vent du sud, notre sirocco, qui va nous amener la poussière puis la pluie et qui mettra les nerfs de la Baronne à rude épreuve. Ah ! les femmes n’y résistent pas, à ce don Juan du désert !" p. 97

II/

"De Sorrente nous suivîmes la côte jusqu’à Salerne. Les orangers, les citronniers encombraient les jardins de Sorrente, et nous suivions des traces embaumées. Maxime Gorki, à ma surprise habitait cette ville ensommeillée. […] cet homme-là était allé se réfugier dans une autre Capoue ! […] Hier dans un village provençal, j’ai tout d’un coup revécu des journées méditerranéennes. […] Le soleil brûlait, c’était aux environs de midi, le cabinet de toilette était blanchi à la chaux ; de la poussière entrait par la lucarne ; une sensation de sécheresse et de gonflement me prenait à l’estomac. La chaleur allait durer jusqu’à la nuit, et peut-être même ne pourrait-on dormir, que l’on ouvrît les fenêtres ou non. Je me disais que mon bonheur de vivre dans un pays de soleil était fait d’une somme de désagréments. Mais j’avais le sentiment que je vivais quand même, tandis que dans un autre pays je ne vivais pas. Peu de monde sur la route qui suivait la mer en corniche. En tout cas, aucun étranger. Des gens du pays conduisaient des carrioles chargées de légumes et de fruits. Nous mangions en route des nourritures de hasard et nous couchions dans les petits hôtels. Innombrables étaient les tableaux et les aquarelles qui couvraient leurs murs ; les couleurs n’étaient pas faites pour tranquilliser les âmes avides d’une paix intime, mais pour rivaliser avec celles de l‘extérieur" p. 152

"Amalfi a du charme, mais si l’on se donne la peine d’escalader le rocher qui la surplombe, Ravello a de la grandeur. Des jardins qui la composent, de son palais, de ses villas, la vue s’étend sur la mer Tyrrhénienne ; la falaise est abrupte et la côte découpée, mais la pente qui y mène est assez douce pour que les arbres fassent un rideau à la mer. Nietzsche écrit que s’il avait eu l’instinct de la propriété il aurait aimé, lui, à faire élever dans la mer elle-même, comme une presqu’île, une maison d’où il aurait pu se sentir luttant avec cet élément tyrannique et capricieux, un peu comme un dompteur qui se plaît à entrer dans une cage. Mais des hauteurs comme Ravello l’on ne pouvait connaître que les joies de la contemplation pure.
La beauté de la Nature s’accompagne en Italie de celle des monuments, et l’homme a ajouté à l’harmonie des choses une part importante qui la fait ressortir. Je ne sais si les paysages grandioses de certaines parties du monde sont aussi émouvants. Ou l’émotion doit être différente : c’est celle qu’inspire la solitude au milieu de l’infini. Au contraire c’est une émotion douce, absolument exempte de frayeur qu’inspirent les golfes et les montagnes d’Italie. A Capri il était agréable de mener une vie étrangère à la Nature, au sein même de la Nature. Ischia, déchue de sa splendeur du siècle dernier et qui n’était pas encore redevenue à la mode, nous attirait plus. Nous faisions le tour de l’île à pied, pensant un moment gravir l’Epomeo, la montagne volcanique qui se dresse au centre de l’île." p. 154

[…]

"Max partit trop tôt pour assister à l’arrivé à Naples de Marinetti qui venait y faire une conférence "futuriste" avec son état-major qui était nombreux, car il dépensait sa grande fortune, acquise par son père à Alexandrie, à propager par tous les moyens la théorie de l’art futuriste et ses nombreuses applications. Son idée était naïve : c’était qu’il fallait tourner le dos au passé, donc prendre le contre-pied de tout ce qui avait été fait jusqu’ici. Venise devait être sillonnée de bateaux à vapeur, ce qui était déjà mis en pratique, et transformé de manière à ce que la terre prît la place de l’eau." p. 165

"Ils subissent le dépaysement et en tirent le meilleur parti. Ils n’ont pas, comme les Allemands, ce désir passionné de la vie au soleil qui les pousse à jouir gloutonnement de ce que le ciel, la terre et la mer s’unissent pour offrir à l’homme. Les Allemands dédaignent les pays tempérés ; en Italie la Toscane et l’Ombrie ne les attirent pas comme les Français ; en Espagne ils ne s’attardent pas en Castille. Ce qui leur convient, c’est la Campanie, la Sicile et l’Andalousie. Quant à voyager, quant à s’expatrier, pourquoi ne pas chercher à connaître les extrêmes ?" p. 198

"Pour moi j’étais né dans un pays qui n’était pas assez froid pour me faire désirer un pays chaud. J’aimais aussi les villes et leur décor. Mais je pense que de plus en plus j’aurai aimé ces plages solitaires brûlées par le soleil et entourées de rochers qui seule auraient contenté ma soif de bonheur impurement physique, car il a une origine mentale. Et, à propos de cosmopolitisme je songeais à ce Napolitain qui possédait une culture universelle et qui dans la patrie de Giambattista Vico avait pris la suite de ces grands théoriciens de l’histoire. Il habitait un étage d’une maison ancienne. Sa physionomie frappait : on eût dit d’un vieux lion avec sa crinière et ses yeux enfouis dans des broussailles. Il était gros, son visage était marqué de petite vérole."

"Je songeais à cette situation paradoxale en me baignant sur une petite plage aménagée près de la Mergellina et fréquentée par des enfants de pêcheurs et quelques rares personnes du quartier. Aucune femme. Je pensais qu’à l’époque de Lamartine celui-ci pouvait en toute liberté nager le long du rivage, prendre place dans la barque d’un pêcheur et partager sa vie. […] La vie que Lamartine menait (ou prétendait mener) avec la famille de pêcheurs de la Mergellina et de Procida était une vie dure. Coucher la nuit enveloppé dans une voile sur le bateau ou bien dans la cabane de l’île sur un lit de fougère, se contenter pour nourriture de fruits, de fromage et de pain, ce n’était pas la vie telle qu’elle pouvait être rêvée par un jeune Français de famille aisée. […] Lorsque j’avais pour la première fois lu Graziella je n’en avais vu que le côté sentimental. Je suis touché encore aujourd’hui par ce récit dramatique dont il est possible de nier la sincérité si l’on peut en déplorer le style lâche et la langue incolore. Même si tout y est inventé, j’en vois mieux aussi ce qu’il contient d’exact sur la vie napolitaine qui, malgré les changements subis depuis un siècle et demi, a gardé ce parfum de simplicité, de sobriété, de joie due à la lumière, de mélancolie venue du sentiment de la brièveté du jour." p. 204

"Le printemps venu je pensai à faire un voyage en Sicile. Goethe disait que la Sicile était la clé de l’Italie, que sans celle-là on ne pouvait pas comprendre celle-ci. La traversée est courte : une nuit de Naples à Palerme. Dans cette dernière ville, le mélange des styles qui pourrait être incohérent – car quelle parenté peut avoir le normand avec le mauresque et le byzantin – est harmonieux – simple effet probablement du recul des âges qui fond ensemble ce qui n’était pas destiné à s’accorder." p. 210

"Il est vrai que le riche a plus de chances d’avoir des vices que le pauvre : la paresse, la débauche, la vanité, la dureté de cœur le guettent. Et si vous avez vécu à Naples vous avez vu par vous-même combien la haute société est corrompue. Il en est de même dans tous les pays du Levant, et le Levant commence à Naples. Mais on ne m’avait pas dit que la pauvreté pouvait engendrer l’envie, la haine, la colère, et qu’en outre le pauvre devenu riche pouvait devenir pareil à ceux pour lesquels il n’avait pas assez de sarcasmes. Peut-être cela vient- il de la structure de notre société où les conditions ne sont pas égales ?" p. 218

"J’avais demandé à mes parents de venir passer un mois avec moi et j’avais loué à leur intention un appartement meublé dont l’annonce portait qu’il avait ‘‘une vue enchanteresse et imprenable sur le golfe."

"Mon père profita grandement de son séjour. Il n’avait jamais dépassé la région des lacs, qu’il aimait ; il ne connaissait donc pas l’Italie, les lacs italiens n’étant que le prolongement ensoleillé des nôtres. Mon père aimait les pays du Midi comme les aiment tous les hommes du Nord, assez pour en jouir un certain espace de temps - (et beaucoup plus que n’importe qui) -, pas assez pour y passer sa vie. Les ruelles pleines de cris et de linge lui paraissaient pittoresque, la foule très animée, les mendiants sympathiques. […] Et quand il faisait l’éloge de la ville devant un Napolitain, il s’apercevait que l’opinion de ce dernier changeait du tout au tout sur lui et qu’il était promu du rang de chose à celui de personne." p. 267

"J’étais alors bien assuré du Ciel, et je n’avais pas à le gagner par les larmes mais par la joie comme cette procession du Corpus Dei qui défilait à Palerme quand j’y débarquai et dont le pompe cadrait avec la magnificence des monuments. Un mélange de byzantin, de mauresque, de romain et de gothique, reflétait les invasions diverses ; mais à une certaine distance dans le temps, tout ce qui brille est beau. C’est un rêve qui s’est formé à partir d’une réalité et qui l’a embellie au point de la rendre méconnaissable." p. 282

"Je prenais plaisir à suivre par la pensée Antoniella dans les rues de Naples. Comme tous les Napolitains elle adorait le soleil et l’évitait ; aussi sortait-elle de préférence en cette saison le matin et le soir, à ces heures délicieuses où l’on n’a que le pressentiment et le ressouvenir de la chaleur. Serait-elle sortie, par force, aux heures de midi, elle n’aurait su prendre son chemin par les rues abritées du soleil sans pour cela avoir besoin de consulter ce livre ancien et curieux, composé par un Jésuite du XVIIIe siècle : Napoli senza sole, qui indiquait les rues à prendre, à chaque heure du jour, pour aller d’un point à l’autre en restant à l’ombre. Quelle expérience de la ville il fallait avoir pour écrire ce guide et combien d’années fallait-il attendre pour noter les degrés d’inclination du soleil ! J’étais tenté de rire de cette vie passée à composer un pareil ouvrage." p.290

"Lorsque le bateau s’éloigna de Naples à la fin de cette journée le crépuscule était encore dans sa magnificence. Quand nous fûmes à la hauteur d’Ischia, au moment où le ciel obscurci n’était pas encore rempli d’étoiles, nous vîmes s’élever des hauteurs de Capodimonte le feu d’artifice le plus beau qu’il m’eût été donné de voir. Ces fleurs éphémères qui allaient mourir pour toujours, je n’en avais jamais senti autant la beauté, je n’avais jamais éprouvé à ce point la cruauté de celui qui ne les avait portées à l’existence que pour les y soustraire. Je m’éloignais rapidement, laissant la place à ceux qui de très loin viendraient, après moi, ‘voir Naples.’" p. 351

Titre

Voir Naples

Éditeur

Gallimard (Paris)

Date

1933 (première édition)

Langue

Format

392 p.

Source

Site de l'éditeur (consulté le 03/04/2020)

Droits

Non libre de droits