Description

[Résumé]
Pont ou porte, mer ou mur, des représentations qui appellent à saisir la Méditerranée sous le signe de la binarité. Jamais une mer n’a suscité autant d’intérêt que cette Mer du milieu. Oscillant entre plusieurs représentations qui drainent une multitude de concepts, la Méditerranée cristallise les oppositions majeures des sociétés actuelles. Portée au grand écran où, faisant l’objet d’analyse intellectuelle d’auteurs, la Méditerranée force l’interrogation et invite à la réflexion sur la vie, sur les rapports des porteurs de cultures des deux rives et sur le devenir de l’humanité. Cette étude se propose d’analyser les mises en scène filmiques et littéraires de la Méditerranée comme espace où s’exerce la binarité.

[Extrait]
Derrière l’image tant médiatisée d’une Méditerranée multiculturelle, lieu de toutes les unions hélas éphémères, espace par excellence où les conflits devraient se désagréger, où les enjeux politiques s’amenuisent au profit d’une coopération, d’un échange et d’un partage constructif entre le Nord et le Sud, la Méditerranée cache des espoirs fragiles, des crispations de toutes sortes, des drames séculaires. Depuis l’Antiquité, cette mer qui bascule, au gré des caprices, entre pont et porte, s’est vue objet de convoitises disparates des grandes puissances impériales. Orient et Occident ont canalisé toute leur énergie afin d’avoir la mainmise sur cet espace maritime. Loin d’être le lit nuptial de l’Orient et de l’Occident, la Méditerranée s’obstine à demeurer un hamac instable qui risque à tout moment de faire basculer ses hôtes. C’est que l’équation méditerranéenne nécessite une vision d’ensemble qui puisse en saisir l’ampleur stratégique, historique, politique, économique, culturelle et sociale. Une vision d’ensemble est la seule garante d’une compréhension globale de cet espace qui implique qu’il n’est plus possible d’accéder à une forme d’intelligibilité de cette mer, de sa mémoire, de ses enjeux et défis sans avoir une appréciation des éléments qui le composent et le décomposent à la fois : « Islam /Occident », « centre / périphérie », « Nord /Sud et suds », « pays créanciers / pays endettés », « ex-colonisateurs /ex-colonisés », « régimes démocratiques / régimes autoritaires », « émigration /hrigue ».
Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit, Paris, La Découverte, 2010, p. 242.

Démêler cette imbrication de paramètres hétéroclites fait réaliser la complexité de cet espace. Du coup, les grands projets liés à la Méditerranée, malgré leurs nobles intentions, deviennent souvent des slogans. Espace sensible aux mutations en cours au niveau mondial comme la globalisation de l’économie, la digitalisation accélérée et la prégnance du cyberespace, l’enjeu majeur pour l’avenir de la Méditerranée réside dans la construction d’un nouvel espace en vue d’une « politique de montée en humanité »6, selon les termes d’Achille Mbembe, tant sur le plan politique, économique, que culturel et social. Un tel projet appelle à reconsidérer la topographie de cette mer qui se trouve liée à une production culturelle multiple et à une ontologie particulière de l’humanité. C’est ce que nous rappelle Nora, l’héroïne de N’zid de Malika Mokeddem, quand elle déclare que la Méditerranée

« est sa complice quand elle roule, court et embrasse, dans une même étreinte, Grèce et Turquie. Israël, Palestine et Liban, France et Algérie. Elle est son rêve en dérive entre les bras de terre, à la traversée des détroits et qui va s’unir, dans un concert de vents, au grand océan. Sa Méditerranée est une déesse scabreuse et rebelle que ni les marchands de haine ni les sectaires n’ont réussi à fermer » (N’zid. p. 69).

Titre

Pont et porte : cette Méditerranée entre littérature et cinéma

Titre Alternatif

in Mer ou mur ? Pour une histoire connectée de la Méditerranée. Un Mare nostrum entre double sens et sens unique

Éditeur

Revue Babel. Littératures plurielles.

Date

43 | 2021

Langue

Format

p. 100-113

Source

OpenEdition (consulté le 5 janvier 2022)
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