Description

[Extrait]
"Pour Édouard Glissant, seule « une poétique » peut, en dernier lieu, explorer ce chaos. Et c’est précisément à partir d’un point de vue autre (antillais) sur la nature cosmogonique de cette Méditerranée, que s’esquisse l’une des mises au monde de cette poétique. Le roman, Tout-monde, et l’œuvre entière, s’orchestrent à la manière d’un « chaos-monde », où entrent en résonances « les rythmes et lumières » des peuples et des cultures, ouverts de l’intérieur par leur opacité irréductible, et de l’extérieur par leur relation au reste monde. Ainsi produisent-ils, en communiquant « par attirance, répulsions, ou chocs », d’imprédictibles résultantes : pour Glissant, le voyage vaut par la mise en circulation, la propagation, la confrontation des imaginaires qui participent, de manière exponentielle, à la poiésis (le faire) autant qu’à la poésis (la forme) du monde.
La Méditerranée, à ce titre, est l’un de ses lieux singuliers mais relié irrémédiablement aux autres, et qui entretient, en l’occurrence dans l’imaginaire de l’auteur antillais, un rapport tout particulier avec ses antipodes caraïbéennes. Située à la croisée d’un espace terrestre et marin, sidéral et abyssal, où rien n’existe sans son contraire, et qui semble contenir tout, la Méditerranée se fait confinement utérin d’où germe un fruit bicéphale. Elle répercute la scansion monstrueuse et cadencée de la conquête, propagée sur le liant liquide comme par ondes de choc, mais parallèlement, elle donne aussi le jour à la diaphane circonvolution d’une autre fréquentation du monde qui se profile dans et par l’imaginaire des personnages : Rythmes, lumières et couleurs de la Méditerranée apparaissent dans Tout-monde sous l’éclairage de Mathieu et de cet autre, énigmatique, appelé « le poète ». Pour chacun d’eux, le sens naît de rapports analogiques : D’abord entre la ville de Gênes et le village de Vernazza, grâce auxquels Mathieu fait l’expérience d’une « logique du bout du monde ». Ici prévalent surtout les rythmes. Ensuite entre Trimiti, Panarea et Cargèse comme autant d’insularités complémentaires par les effets contrastés de leurs rythmes, de leurs lumières, et de leur diaprure particulières. Enfin, entre la Méditerranée et la Caraïbe. C’est de cet agogique méditerranéen, c’est-à-dire de ses accélérations, de ses ralentissements et de ses interruptions confondus, que surgit le monde dans sa totalité chaotique. De cette perspective autre, venue des antipodes, se dévoile – grâce à une lumière commune entre l’espace méditerranéen et l’espace caraïbéen – la saisie d’une poétique transversale, qui réunit des lieux incommensurables, sans les confondre, mais en les révélant chacun au contraire sous un nouveau jour."

Titre

La Méditerranée : une source agogique du « chaos-monde » dans l’imaginaire d’Édouard Glissant

Titre Alternatif

in Rythmes et lumières de Méditerranée

Éditeur

© Presses universitaires de Perpignan (FR)

Date

2003

Format

p. 185-194

Source

OpenEdition Books
Lire l'article en ligne

Droits

Non libre de droits