Description

[Extrait]
"On a souvent remarqué que le meurtre se produit en pleine apocalypse, et que la mer, le soleil, et le ciel unissent leurs forces mauvaises, qui font basculer vers le malheur un être innocent, heureux, « amoureux du soleil », habité par « la passion de la vérité » La Méditerranée n’est pas seulement, n’est pas toujours le symbole de la plénitude bienheureuse.
Cette même dualité – vie et mort, lumière et ombre, plénitude et angoisse, bonheur et malheur – se retrouve dans le mythe fondateur de l’Algérie que retrace Le Premier homme ; sans reprendre ici la vision épique et mythique d’une histoire revisitée de l’Algérie, je signalerai un élément particulièrement significatif de cette dualité : l’été des quartiers pauvres, qui est évoqué en des termes qui rappellent le règne de la peste à Oran :
À travers les semaines et les mois, le soleil de plus en plus fixe, de plus en plus chaud avait séché, puis desséché, puis torréfié les murs, broyé les enduits, les pierres et les tuiles en une fine poussière qui, au hasard des vents, avait recouvert les rues, les devantures des magasins et les feuilles de tous les arbres. Le quartier entier devenait alors, en juillet, comme une sorte de labyrinthe, gris et jaune [...]. Ah oui, la chaleur était terrible, et souvent elle rendait fou presque tout le monde [...]."
( Le Premier homme, Cahiers Albert Camus VII, Gallimard, 1994, pp.238-239.)

Cette description réaliste, qui ne laisse guère de place aux joies de l’été si magnifiquement glorifiées ailleurs, ramène au « labyrinthe » du Minotaure de la « halte d’Oran », aux souffrances des pestiférés, et s’achève sur la perte de raison, atteignant ainsi une dimension irréelle, qui dépasse Oran – même soumis à l’horreur de l’épidémie – ou Alger, et s’apparente à une malédiction pesant sur la condition de l’homme.

Peut-être parce qu’elle n’a pas fait partie de l’expérience quotidienne de l’écrivain, parce qu’il l’a d’abord connue à travers ses philosophes – et en particulier Platon et Plotin, parce que sa découverte, prévue depuis 1939, n’a pu se faire que seize ans plus tard, la Grèce semble, aux yeux de Camus, être tout entière du côté de la lumière et du bonheur. Il faut certes noter qu’elle est aussi la terre natale du théâtre tragique, et il ne saurait l’oublier ; mais la tragédie ne naît-elle pas toujours de l’ubris de l’homme insensé ? Et la Grèce est essentiellement la patrie de la limite et de la mesure. Après le cycle de Sisyphe, c’est-à-dire de l’absurde, et celui de Prométhée, c’est-à-dire de la révolte, Camus envisageait celui de Némésis – déesse de la vengeance des Dieux contre la démesure ; ce n’est pas l’action divine qu’il retient, mais la leçon de justesse, de justice, la nécessité de poser des limites à la volonté de pouvoir, à la violence, à la tyrannie, à l’humiliation, à la domination ; la reconnaissance de la juste mesure humaine entraîne le respect de la personne en soi et chez les autres. On pourrait – en simplifiant quelque peu, mais sans les déformer – ramener à cela les principes qui gouvernent les position politiques et les conceptions philosophiques de Camus. "

Titre

La Méditerranée d’Albert Camus : une mythologie du réel

Éditeur

© Presses universitaires de Perpignan (FR)

Date

2003

Langue

Format

Article scientifiue, p. 267-276

Source

OpenEdition Books
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