Description

Poème épique de trente-trois mille trois cent trente-trois vers.
L'Odyssée de Kazantzakis n'est ni une traduction ni une adaptation de l'Odyssée d'Homère, mais une oeuvre entièrement originale. Cette Odyssée commence exactement où finit celle d'Homère : au moment où Ulysse, revenu à Ithaque, décide d'en repartir à jamais sur les mers et les routes du monde.

[Extrait du Prologue]

"Soleil, mon grand Levant, bonnet d’or de ma pensée, que j’aime à porter de travers, l’envie me prend de jouer, tant que tu vis et que je vis aussi, pour réjouir nos coeurs.
Cette terre est bonne et nous convient; comme la grappe bouclée elle s’accroche à l’air bleu et se balance dans la tempête, mordillée par les esprits et les oiseaux du vent.
Mordillons-la nous aussi, pour rafraîchir notre pensée."

"Dans la grande cuve entre mes tempes, je foule le raisin craquant; le moût violent bouillonne; la tête entière rit et fume dans le jour inflexible.
La terre a-t-elle ouvert ses voiles, ou mon cerveau s’est-il ébranlé.
La nécessité aux yeux noirs est-elle ivre et le chant commencé!
Au-dessus de moi, le ciel brûlant; au dessous, mon ventre, mouette sur la mer qui se baigne dans l’écume; mes narines sont pleines de sel; contre mon dos battent les vagues, vite, vite, et s’en vont; et je m’en vais moi aussi avec elles.
Soleil, triple soleil qui passes là-haut et scrutes tout en bas, je vois un bonnet marin, celui du Destructeur de cités.
Donnons-lui un coup de pied pour jouer, pour voir jusqu’où il s’en ira.
Le temps, vois-tu, a des retours, le sort a des roues, c’est l’esprit humain, là-haut, qui les fait tournoyer.
Viens, donnons un coup de pied à la terre pour qu’elle cabriole.
Soleil, mon regard rapide et joueur, mon limier ardent, déniche la proie que j’aime, prends-la en chasse.
Ce que tu vois sur terre, rapporte-le, ce que tu entends, confie-le-moi, je ferai tout entrer dans l’atelier secret de mes entrailles, et lentement, avec le rire et le jeu, avec la caresse lente, pierre, eau, flamme, terre deviendront esprit.
Alors l’âme lourde aux ailes boueuses se détachera doucement du corps, et montera comme une flamme tranquille se perdre dans le soleil.
Vous vous êtes bien repus, les amis, sur le rivage en fête.
Rire, danse, petits baisers et lent bavardage.
La fête en vous s’est accomplie et s’est perdue dans la chair; mais en moi le vin fermente, la chair s’anime, un air marin bondit qui va me renverser.
J’ai envie d’entonner un chant. Faites-moi place, frères!
Ah! la fête est grande et le lieu étroit.
Écartez-vous, il me faut de la place pour m’allonger, de l’air pour ne pas étouffer.
Que je lance les jambes, que j’étende le bras, que je ne blesse pas dans mon exaltation vos femmes et vos enfants.
Car elles me sauteront à la gorge, je crois, quand je laisserai mes paroles s’en aller de rive en rive faire la chasse à l’homme.
Et quand mon gosier sera sec et ma peine obsédante, je me lèverai et réclamerai de l’espace pour danser sur le rivage.
Ôte-moi la prudence, mon Dieu, que s’ouvrent les tempes, que s’ouvrent les trappes de l’esprit, que le monde respire!
Holà! paysans-fournis, charrieurs de blé, je vais semer le coquelicot rouge pour incendier les champs.
Filles à la colombe sauvage posée sur votre poitrine fraiche, gaillards au couteau noir serré à la ceinture, la terre est un arbre mort, même si vous vous battez.
Moi, de mon chant, je vais la faire fleurir!
Artisans, laissez vos outils, rangez vos tabliers, sortez du joug de la nécessité, la liberté pousse un cri.
La liberté, frères, ce n’est pas le vin, ni la femme douce, ni le bien dans les celliers, ni le fils dans le berceau, c’est un chant solitaire et dédaigneux qui se perd dans le vent.
Buvez l’onde âpre du Refus, pour purifier votre pensée, oubliez vos drogues et l’intérêt avilissant, que vos cœurs deviennent des coeurs d’enfant, vierges, insouciants et fragiles, fleurissez, cervelles, et que le rossignol vienne chanter!

Et vous, vieillards, criez pour que vos dents repoussent et vos cheveux noir de corbeau, pour que l’esprit délié rebondisse!
Sur notre maître le Soleil, sur notre dame Lune, je jure que la vieillesse est un rêve et la mort une illusion.
Tout est artifices de l’âme et jeux de l’esprit, tout est vent qui souffle et ouvre les tempes.
Un rêve léger et ce monde est né.
Partons à la conquête du monde, amis, avec le chant!
Holà! compagnons du voyage, prenez les rames, le capitaine avance.
Mères, donnez le sein à vos nourrissons, qu’ils cessent de pleurer!
En avant! plus de soucis médiocres, dressez l’oreille, je vais raconter les aventures et tourments du célèbre Ulysse."

Titre

L'Odyssée [Extrait]

Éditeur

Paris, Éditions Richelieu. E. Kazantzaki et Librairie Plon.

Date

1968, 1971 (traduction)

Droits

Non libre de droits