Description

[Extrait de l'avant propos]
Pour s’en tenir au seul cas français, c’est peu dire, en effet, que l’air de la mer que l’on respire en Méditerranée n’a que peu en commun avec celui qui souffle sur l’Atlantique.
Et cela ne tient pas aux seules considérations climatiques : Ouest contre Sud, sauf à convoquer une théorie des climats au sens où l’entendait le XVIIIe siècle, quand l’Atlantique a souvent été associé au Nord, dans une configuration Nord / Sud pleinement opératoire, mais dans l’imaginaire, au sein de systèmes nourris de représentations, tant culturelles qu’historiques et idéologiques. Les deux univers s’avèrent pourtant plus proches qu’il n’y paraîtrait à première vue quand, de Gênes et de Venise comme de Palos de Moguer, l’ancien monde enfante le nouveau alors que, de la mer fermée comme de l’océan ouvert, s’élancent sur l’onde de grands découvreurs qui allaient fracasser la vision européocentriste et ouvrir sur des horizons nouveaux, reculant les bords mystérieux du monde occidental, en même temps que sur une dialectique du Même et de l’Autre qui allait conduire à questionner la notion même de civilisation.
Si devaient s’imposer là des topiques clairement différenciées entre un bassin méditerranéen associé aux cultures classiques, à un art de vivre, à un socle commun de valeurs bien lisible dans l’expression mare nostrum et un Atlantique moins étale, avec la violence de ses marées, corrélé, lui, à un dynamisme plus brutal, non pas culturel mais marchand, les oppositions – l’Ancien et le Nouveau, le Nord et le Sud... – n’épuisent pas les rapports complexes qui unissent les « deux mers », pour reprendre les termes en usage au XVIIe siècle, au moment où Pierre-Paul Riquet nourrit le rêve de les unir par son Canal Royal. Que le futur Canal du Midi se donne alors comme poursuivant un projet romain pleinement fantasmatique exprime bien le poids de ces représentations dans l’imaginaire, alors même que cette opération démiurgique, posée comme une réplique autant symbolique que technique à Gibraltar, qui assure une communication naturelle entre les « deux mers », ne vise pas à moins, en remodelant la nature, qu’à concurrencer la Création.
Dans le déluge d’évocations que suscite la Méditerranée, les représentations se sont sédimentées jusqu’à former une concaténation surinvestie et, si c’est à peine moins vrai pour « cette Méditerranée moderne qu’aura été l’Atlantique », comme se plaît à l’appeler Braudel, c’est que l’image est de création plus récente. C’est aussi que l’océan relie des terres neuves, terrae incognitae longtemps conçues comme « sans histoire », qu’il s’agisse de l’Afrique ou des Amériques.
Pour autant, son empreinte n’en est pas moins marquante, qui tient du ressac destructeur, quand la soif des nouveautés, l’abondance des ressources et du numéraire se paient d’une culpabilité loin d’être encore soldée, à l’heure où « la vision des vaincus » revient bien plutôt hanter comme un spectre la bonne conscience satisfaite de ces puissances qui se faisaient fort d’incarner « la » civilisation.

Table des matières

Table des matières en ligne

Odyssées...
Le partage des eaux
La vogue du tourisme : escales et tropismes
Dérivations et retrempes symboliques
Varia

Titre

Horizons des mondes méditerranéen et atlantique : imaginaires comparés

Éditeur

Babel, Littératures pluielles

Date

2014, n029

Langue

Droits

Non libre de droits