Description

[Résumé]
Chez les écrivains britanniques, le thème du voyage obéit, à partir du XVIIe s. et jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, à un modèle configuré par la société : le Grand tour. On s’attachera ici à la signification et à l’histoire du Grand tour, en s’arrêtant sur son dernier représentant, Percy Bysshe Shelley, dont l’œuvre poétique sera interrogée pour tenter d’évaluer évolutions et reconfigurations de ce type de littérature viatique.
[Abstract]
The travel literature of an island nation evolved into a peculiar new genre, the literature of the Grand Tour, that had appeared in Britain in the 17th century, developing into a true institution by the beginning of the 19th, when Romanticism was in full bloom. Starting from an investigation of this literary phenomenon, the study develops into an exploration of the early 19th century, with a focus on Percy Bysshe Shelley, whose poetry, while encompassing the literary tradition that had already developed, also discovers glowing new ways of refining it into climactic visual/ visionary arresting moments.

[Extrait]
Lorsque les Britanniques ont commencé à formuler l’idée de Grand tour, ils usaient, de manière consciente, d’une expression française, traduisant ainsi une activité élaborée, raffinée, telle que la France leur en fournissait le modèle. Pourtant, à y réfléchir d’un point de vue anthropologique, ces termes portent sur un mouvement ancestral lié à l’instinct vital – la vie étant mouvement – de déplacement dans l’espace, de découverte et, à la limite, de conquête de l’espace. C’est ainsi que Maximiliano Korstanje1, professeur d’anthropologie, émet l’hypothèse que les peuples du Nord seraient plus enclins au Grand tour du fait que, dans leurs périodes archaïques, ils croyaient en une divinité, Wotan, ou Odin, vouée au voyage comme source d’acquisition de connaissances.La mode telle qu’elle est apparue en Grande-Bretagne à compter du XVIIe siècle où son développement est spectaculaire, avant le plein épanouissement du XVIIIe, découle en grande mesure de la nature insulaire du pays. En 1660, à l’époque de la restauration monarchique, le Grand tour est une pratique éminemment aristocratique, qui répond à des objectifs multiples, et c’est seulement au XIXe siècle que le Grand tour sera aussi le fait de bourgeois, de familles, de femmes même.
Faire le Grand tour est devenu, à la fin du XVIIIe siècle, un parcours initiatique que les jeunes hommes de l’aristocratie entreprennent pour parfaire leur éducation, une fois leurs études universitaires achevées. Il pouvait durer de quelques mois à deux, trois ou même cinq années, mais la durée la plus courante oscillait entre un et deux ans.
Ces voyages au long cours poursuivaient des desseins variés – on attendait des jeunes gens qu’ils affinent leurs manières au contact de sociétés aux mœurs étrangères, qu’ils pratiquent et apprennent les langues dans la fréquentation de leurs égaux, qu’ils nouent dans la haute société des connaissances susceptibles de servir leur carrière à venir. Mais le but déclaré consistait en un apprentissage culturel assuré par les œuvres de l’âge d’or de l’humanité, de l’Antiquité à la Renaissance. Les « grands touristes » très aisés peuvent aussi se permettre le luxe de collectionner les objets d’art, en Italie ou dans les Pays-Bas principalement, pour leur propre plaisir ou pour, à leur retour, éduquer ceux qui n’auraient pu visiter ces hauts-lieux. En Italie surtout, des artistes étaient employés à peindre des tableaux où figuraient les sites consacrés, tels les védutistes, parmi lesquels se remarquent Canaletto, Pannini et Francesco Guardi. Les tableaux pouvaient être personnalisés et le commanditaire apparaître inscrit dans le paysage. Par ailleurs, ces voyages loin de la famille et de la société offraient aussi aux jeunes aristocrates à peine sortis de l’adolescence des occasions inavouées de rencontres, la possibilité d’aventures ou de liaisons sans répercussions sur leur future position, ou des chances de nouer des alliances avantageuses.
Enfin, le doux climat du Sud n’est pas pour rien dans la prédilection que les Britanniques marquent pour le Grand tour, qui les attire, quand on ne le leur prescrit pas pour leur santé. Au début du XIXe siècle, Samuel Taylor Coleridge a séjourné à Malte pour cette raison, tandis que le jeune John Keats, qui mourut à Rome, s’y trouvait pour soigner sa tuberculose.
est dire que le Grand tour revêtait un caractère culturel aussi bien que politique, diplomatique, linguistique, économique, érotique et, même, médical.

Table des matières

Le Grand tour des Britanniques
Nouvelles catégories esthétiques
Une nouvelle génération – une nouvelle esthétique
Shelley et la nouvelle esthétique de la Méditerranée

Titre

Le Grand tour de Shelley et la poésie de la Méditerranée

Titre Alternatif

in Horizons des mondes méditerranéen et atlantique : imaginaires comparés. La vogue du tourisme : escales et tropismes

Éditeur

Revue Babel, Littératures plurielles

Date

2014, n°29

Langue

Format

p. 161-179

Source

OpenEdition Journals
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Droits

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