Description

[Résumé éditeur]
Parler de la Méditerranée n'a pas le même sens, selon que l'on se trouve en Italie ou en Espagne, en Grèce ou en Turquie, en France ou en Égypte, au Liban ou au Maroc... C'est justement pour découvrir la diversité de ces regards et comprendre comment ils ont été façonnés à travers l'histoire que ce travail sur " les représentations de la Méditerranée " a été lancé. Cette série de livres en est l'aboutissement. Dix chercheurs et dix écrivains de dix pays (Maroc, Tunisie, Egypte, Liban, Turquie, Grèce, Italie, Espagne, France et Allemagne) ont travaillé ensemble durant près de deux ans pour tenter de mieux comprendre ce que signifie l'idée de la Méditerranée, d'une rive à l'autre. Représentations contrastées d'une Méditerranée plurielle, qui se retrouve dans cette multiplicité de regards et se révèle comme une source d'écriture, territoire de l'imaginaire où prennent forme de nouveaux récits. Cette série de textes inédits nous offre une occasion rare de découvrir la mosaïque des représentations de la Méditerranée.

Titre

La Méditerranée italienne

Titre Alternatif

in Les représentations de la Méditerranée

Éditeur

Paris, Maisonneuve & Larose, collection Monde méditerranéen

Date

24/05/2000

Langue

Format

Vol. 7, 32 pages, 13 x 21 cm

Source

Lire la recension de Pierre Vergès sur Openedition.org

[Extrait]
Un nouveau livre sur la Méditerranée ? Non, un ensemble de livres, enserrés dans un beau coffret, qui donnent la parole à dix pays , chacun représenté par un écrivain et un scientifique. Œuvre collective, parole plurielle pour montrer que la " représentation " de la Méditerranée est aussi importante que sa réalité géographique, économique et politique. Ce parti pris est courageux dans notre univers où la matérialité économique devient un langage dominant.

Ce coffret est le fruit d'un programme de recherche de deux ans dirigé par Thierry Fabre et Robert Ilbert . Ce dernier met au jour les strates historiques et culturelles sur lesquelles repose actuellement " l'idée méditerranéenne ". Il vise à montrer la diversité des regards, les ressorts mythique ou symbolique, les volontarisme et les conflits. Il donne une importance particulière aux éléments culturels et de connaissances mutuelles rendant possible le ou les dialogues. Le côte à côte des textes historiques et poétiques permet de dépasser les faits et les représentations sociales pour atteindre une connaissance plurielle ; la pluralité est d'ailleurs le maître mot permettant non seulement d'interpréter mais encore de donner un avenir à la Méditerranée.

Les responsables de ce programme considèrent la Méditerranée comme un objet scientifique complexe dont la nature est à la fois historique et discursive. L'histoire a produit une généalogie plurielle avec des points d'ancrage communs. Les textes littéraires donnent forme à un imaginaire. L'analyse des représentations, scientifiques et sociales, permet de mettre au jour les ancrages, les permanences et les rapports de force symboliques qui traversent cet espace stratégique. Ces textes ne prennent pas pour argent comptant l'existence d'une représentation de la Méditerranée. Ils soulignent au contraire les absences, les distorsions, les réinventions nostalgiques et les ambiguïtés politiques. Les analyses cherchent une voie entre description d'une vision limité à " l'heure de son clocher " et pratique de la rencontre.

Les points de vue qui tiennent à la situation géographique de chaque pays sont fort différents mais l'accord est total sur l'existence d'un fonds culturel commun qui se décline de différentes manières : berbéro-carthaginois, gréco-latin, judéo-arabe et islamo-chrétien. Emma Belhaj Yahia (Tunisie) ajoute " ma Méditerranée n'est belle que parce qu'elle est multiple ".

Les représentations s'ancrent dans une mémoire de l'histoire et dans les écritures de cette histoire. Les auteurs remontent jusqu'à la période grecque et phénicienne mais mettent surtout l'accent sur les XIXe et XXe siècle. On prend alors conscience de la quasi impossibilité de nouer en un seul paradigme ces versions de l'histoire. Chaque pays a eu, à un moment historique donné, une position dominante sur la Méditerranée. La mémoire de cette période donne lieu, pour chacun, à l'apparition d'un courant de pensée qui vise à créer un imaginaire méditerranéen dont la fonction est de lui redonner un rôle valorisé ou d'opposer au nationalisme une vision plus universelle.

Pour l'Italie l'invention d'une " troisième Rome " anticipe sur l'expansion coloniale mussolinienne. A l'inverse, pour la Turquie, le repli ottoman après la première guerre mondiale confère à la Méditerranée l'image de la défaite. Le regard se porte alors ailleurs, vers l'Angleterre, l'Allemagne et la Russie. Seul un regard anatolien invente une " philosophie du pêcheur " qui donne toute sa place à cette mer mais vise aussi à réagir face aux thèses nationalistes et à poser l'Anatolie en acteur principal de l'identité turque. Au Liban " l'épopée phénicienne " développée par plusieurs revues se heurte à la proximité de la montagne et à la présence de l'Islam : la Méditerranée ne peut être qu'un élément parmi d'autres de l'identité nationale. En Egypte, l'héritage pharaonique est là aussi utilisé pour faire face aux identités émergentes, arabisme ou occidentalisme, mais la révolution nassérienne a écarté la Méditerranée de ses préoccupation au profit d'une vision arabe, africaine et islamique. En France l'aventure coloniale génère une quête de l'identité latine où Mauras et Pirenne défendent une harmonie romaine mise à mal par l'Islam. La conscience maritime grecque se limite à la mer Egée et le génie maritime de ce peuple ne se traduit pas par une conscience méditerranéenne. En Espagne elle est contradiction et ambiguïté : lac catalan puis expansion coloniale africaine et maintenant vocation euro-méditerranéenne. L'Allemagne, moins impliquée, a une vision plus intellectuelle : Hegel pose la Méditerranée au centre des trois continents du vieux monde, Goethe y localise l'Arcadie.

La liste des noms que prend la Méditerranée dans ces différents pays vaudrait à elle seule un volume. Le langage exprime ici un véritable éclatement où " la Mare Nostrum " n'est qu'une référence ayant perdu pratiquement toute prétention hégémonique. On peut alors comprendre que les habitants des différents pays qui l'entourent, refusent de gommer leurs différences et affirment leur propre identité.

A cette vision éclatée, seule la vocation touristique semble donner une unité. Or cette dernière est refusée par tous, même s'ils en reconnaissent l'importance économique. C'est le repoussoir absolu du déversement nordique sur les plages du sud et de l'engouement pour les vestiges archéologiques. Les auteurs préfèrent trouver l'unité dans une représentation poétique et culinaire. Faisant appel aux livres de cuisine Elias Khoury (Liban) pense que ce qui rapproche les peuples de cet espace ce n'est pas les intérêts communs ou la mémoire d'un hypothétique âge d'or mais la conviction " qu'il n'est d'huile que d'olive ". Si l'univers de la cuisine donne une vision unitaire fondée sur des emblèmes, thym, olivier, elle est quand même source de division avec le porc et le vin. On ne peut pas se contenter d'une unité symbolique d'autant que la géographie mentale porte de son coté à l'éclatement. Pour le Nord, le Sud est féminin (harem et voile) et le Nord masculin. Alors que la littérature islamique pense inversement le Nord au féminin. La mer, trait d'union, peut être pleine de soupçons et même " père sévère ". La mer se fait frontière pour les hommes. Elle se fait conflit comme dans le face à face gréco-turc où l'histoire est faite de cohabitations douloureuses et la géographie faite d'encastrements mais où l'avenir européen peut être un possible horizon.

Il faut alors une dose d'optimisme pour poser l'existence d'une " Méditerranée-identité d'une Méditerranée-perspective ", comme le fait Mohamed Berrada (Maroc). Elle repose pourtant sur un ensemble de réalités. En premier, les migrations et les nombreuses diasporas sont le terreau d'un commerce régional. En second, le mode de relation sociale où le marchandage l'emporte sur la normalisation des étiquettes et des marchés. Ici est affirmé le souci de l'humain et de sa culture face au consumérisme et aux non-valeurs de la mondialisation. Enfin la recherche d'une référence commune aux trois monothéismes donne à la fois une dimension totale et en même temps antagoniste à cette quête identitaire.

Les auteurs ne se limitent pas à un parcours culturel et historique qui permet toutes les reconstructions, voire laisse le champs libre aux utopies. Ils analysent le champ politique de cet espace pris entre les aspirations tiers-mondistes et l'hégémonie des grandes puissances qui y défendent leurs intérêts et leur ordre international. Dans ces analyses l'Union Européenne tient une place particulière faite de quotidiens douloureux et d'espoirs. L'intégration à un espace euro-méditerranéen, initié par Barcelone en 1995 est devenu incontournable. Elle est espérance de démocratie, de pluralisme et d'équilibre social. Mais pour qu'elle prenne corps il faut combattre les courant racistes au Nord et les intégrismes au Sud. La limitation des déplacements des personnes est alors dénoncé comme le plus grand obstacle qui doit être impérativement levé. La libre circulation des produits, l'intégration des économies, ne peut se satisfaire d'un cordon sanitaire entre le Nord et le Sud.

Les parcours où cet ensemble de livres nous entraînent sont fascinants car multiples. Les auteurs ne font pas mystère de ce qui sépare tout en nous donnant envie de mieux connaître l'histoire de leur peuple et la richesse de leur littérature. Ils nous font prendre conscience de l'importance de la situation géographique de chacun dans leur regard sur la Méditerranée. Ils nous disent leur espoir. L'autre grande qualité de ces ouvrages est la diversité des écritures. On y trouve de purs textes de romans nous plongeant dans des lieux mythique comme Syracuse. On y trouve des écrivains donnant à l'histoire une dimension poétique ; des analyses historiques fouillées nous faisant revivre les courants philosophiques, littéraires et politiques des périodes historiques charnières dans la création d'un imaginaire méditerranéen. Cette posture objective et intérieure ne peut se clôturer. Il me semble pourtant que l'on ressort de cette lecture en voulant privilégier les convergences.

Il faut une démarche volontaire pour construire une unique Méditerranée. L'un des auteurs affirme qu'elle n'existe que parce que nous devons la sauver, Edhem Eldem (Turquie) parle " d'un défi à relever ". Jean Claude Izzo (France) nous y appelle : " entre Orient et Occident, et découvrir que cette mer n'a pas deux rives, mais une seule et quelle est nôtre ". Il prend la suite d'un ensemble d'écrivains qui opposent, comme Audisio, le cercle à la ligne frontière, qui se retrouvent dans les Cahiers du Sud ou qui fond resurgir la civilisation d'al-Andalus au fondement du monde d'Oc et de la Provence. Jacques Berque est ici convoqué : " j'appelle à des Andalousies toujours recommencées dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'inlassable espérance " ; comme le sont bien sûr aussi Fernand Braudel et Georges Duby. Ils donnent à la Méditerranée une véritable " identité narrative ", une problématique légitime. On dépasse avec eux le volontarisme pour reconnaître avec Paul Balta que " le flambeau de la civilisation n'a cessé d'être transmis d'une rive à l'autre… La Méditerranée est riche de métissage culturel ". Cette démarche n'est pas seulement française on la trouve aussi sous la plume de Takis Theodoropoulos (Grèce) : " la surface bleue de la Méditerranée possède encore ce divin attribut : en te révélant le visage de " l'autre ", elle te révèle aussi que ce visage ne diffère guère du tien ", et sous celle d'Edouard Al-Kharrat (Egypte) qui pense " qu'elle est plutôt un état spirituel, portant une substance poétique ".

Ce livre doit être lu au regard de son parti pris de complémentarité des regards et des approches. On peut cependant lui objecter l'absence de certains pays tel l'Angleterre qui domina la période de l'entre deux guerres, tel l'Algérie où la blessure est profonde, tels les Balkans et Israël où se jouent les soudures du futur. On peut encore lui faire reproche d'une ambiguïté sur le lieu d'où parle chaque auteur, l'écrivain se fait quelque fois historien, l'historien se fait politiste ou sociologue. Mais ne fallait-il pas rechercher cette ambivalence pour traiter d'une représentation qui dépend de tellement de paramètres (géographique, historique, sociaux et même religieux) qu'elle ne peut être qu'en perpétuelle recomposition ?

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