Description

Extrait
C'est la Constantinople du XIXème siècle qui surgit de ces clichés, celle des voyageurs romantiques, d'avant le grand incendie de 1910 qui va ravager les bâtiments de bois. Mais la plupart sont beaucoup plus personnelles, surprenantes : Loti est un photographe sensible aux atmosphères (neige, brume, fumées, vols d'oiseaux sur le Bosphore), aux êtres (les personnages nous regardent presque toujours de face), aux espaces vides (ruines, rues, cours des mosquées) comme au grouillement des caravansérails, aux corps (le bain des matelots du Vautour). De très gros premiers plans (ces photos sont tirées d'après des plaques destinées à produire une vision stéréoscopique) produisent une extraordinaire impression de relief : je suis Loti sur son caïque aux Eaux-Douces d'Asie, assis juste derrière les rameurs. L'image photographique permet de mesurer comment l'écrivain transforme le « réel » : cette ville et ces gens qui nous apparaissent ordinaires (crasse, vêtements déchirés, ruines délabrées) sont pour lui les éléments d'une féerie sans cesse renouvelée, splendide ou funéraire. Cette Stamboul, qu'il avait cru ne jamais revoir, est le lieu où il est pleinement lui-même, dans la réalisation de ses rêves de jeunesse. Qu'il hante les cimetières au-delà des remparts à la recherche des tombes des « personnages » d'Aziyadé, qu'il puisse enfin pénétrer dans la plus interdite des mosquées, ou qu'il se retrouve tout chamarré aux réceptions des grand'vizirs, il est Loti, c'est-à-dire le roman qu'est sa vie devenue depuis, précisément, la publication d'Aziyadé, son premier livre. Défilent alors les thèmes qui parcourent l'œuvre tout entière, la fuite du temps, la mort, la renaissance perpétuelle des forces vitales, le jeu des déguisements, la splendeur des printemps et des soleils couchants. Cet effet de concentration (Loti-Stamboul, à la puissance trois) a été obtenu (faut-il le regretter ou s'en féliciter ?) au prix d'un certain nombre de coupures dans le journal inédit (des pages sur les déplacements du Vautour hors des eaux turques ; la maladie de Loti et son séjour à l'hôpital, par exemple). Le cadre de l'ouvrage - il s'agit d'une collection d'ouvrages à thème : ici la ville d'Istambul vue par Loti - justifie tout à fait ce parti pris. Mais cette publication, qui donne à lire des pages inédites aussi belles que les pages connues, amène à former le vœu qu'un éditeur entreprenne la publication intégrale de ce journal.

Titre

Alain Quella-Villéger, Istanbul. Le regard de Pierre Loti [compte-rendu]

Titre Alternatif

in Revue "Romantisme", N°77

Créateur

Éditeur

Revue "Romantisme"

Date

1992, N°77 (Fichier pdf généré le 19/07/2018)

Langue

Format

PDF, pp. 126-127

Source

Lire en ligne https://www.persee.fr (consulté le 31/11/2022)