Description

[Critique Libération par Jean-Yves Grenier
publiée le 7 août 2019]
Comment se construit le droit de la mer dans la Méditerranée au XVIIe siècle ? Contre l'idée courante que le droit maritime serait une invention des pays de l'Europe du
Motivés par la lutte contre la piraterie et une géographie particulière, les Etats européens et l’Empire ottoman ont forgé un droit maritime unique, où les souverainetés s’imposent à la libre circulation.
Nord-Ouest pour les océans Atlantique et Indien, Guillaume Calafat montre que l'espace méditerranéen est un lieu majeur pour penser le statut juridique de ce territoire bien particulier qu'est la mer.
Depuis l'époque romaine s'est imposée l'idée que les mers sont des espaces non appropriables par les Etats, faisant de leur libre usage (mare liberum) une tradition doctrinale très ancienne. Les commentateurs médiévaux ont ajouté l'idée qu'elles peuvent faire l'objet d'un partage de juridiction entre puissances riveraines, à l'intérieur d'une limite de cent milles nautiques. L'idée de juridiction maritime n'est pour eux pas incompatible avec l'usage libre des mers, bien au contraire. La liberté du commerce exige, par exemple, l'exercice d'une police contre ces ennemis de la navigation que sont les pirates. Les juristes du XVIIe siècle reprennent cette distinction fondamentale entre la propriété des mers et leur juridiction, les États jouissant seulement des prérogatives de surveillance et de contrôle maritime. La question est de savoir jusqu'où s'étendent ces prérogatives étatiques.
Détroits
La Méditerranée a ceci de particulier que même les tenants de la mer libre admettent que les Etats peuvent y exercer leur souveraineté. Sa morphologie particulière - ses côtes découpées, ses golfes, ses détroits et ses nombreuses îles - justifie aux yeux des contemporains un traitement différent de celui réservé à l’immensité océanique. Pour chaque puissance bordière, l’enjeu est donc de délimiter un espace de juridiction qui sera aussi un espace de souveraineté. Le cas de Venise est emblématique car elle a depuis longtemps imposé son pouvoir sur la mer Adriatique, voire au-delà. L’exemple de la Cité des Doges a de ce fait beaucoup contribué au succès de l’idée de souveraineté au détriment de celle de liberté des mers.
Ce que montre bien Guillaume Calafat est que le débat sur la légitimité de la domination maritime se joue à l'échelle européenne, les Etats multipliant la production de cartes pour appuyer leurs revendications. Beaucoup de puissances côtières suivent en effet le modèle vénitien, comme la République génoise, qui revendique la domination sur les eaux de la côte ligure contre les prétentions de libre circulation des escadres françaises et espagnoles. Le rôle des péages et des taxes prélevés sur les navires étrangers est essentiel dans cette stratégie de délimitation du domaine maritime, bien au-delà du seul aspect financier. Le péage n'est d'ailleurs pas considéré par beaucoup de juristes comme une entrave au commerce mais, au contraire, comme une mesure nécessaire à sa bonne marche car il finance la sécurité des mers et la lutte contre les pirates. En ce sens, comme l'écrit Jean Bodin, les taxes maritimes sont l'une des «vraies marques de la souveraineté».

Cérémonial
La Méditerranée au XVIIe siècle, c'est aussi l'Empire ottoman. Guillaume Calafat insiste à juste titre sur la présence maritime de la Sublime Porte, à l'encontre de certains préjugés historiographiques, qui la voient surtout une puissance terrestre. Pour beaucoup de juristes anciens, l'Empire ottoman serait même «vénitien» dans le sens où il revendique une souveraineté absolue dans sa zone de juridiction. Les visites périodiques de la flotte amirale turque en mer Egée ont ainsi pour objectif, au travers d'un cérémonial précis, de rappeler aux populations insulaires leur soumission. Un autre facteur important est l'existence d'une frontière religieuse entre islam et chrétienté, sur terre comme sur mer, aussi abstraite et perméable fut-elle. Elle permet de justifier l'existence de domaines maritimes et le maintien d'une police des mers. En fait, beaucoup dans les deux camps, à commencer par les corsaires, entretenaient l'idée de la guerre sainte pour des intérêts bien matériels. Cela n'empêche d'ailleurs pas l'existence de formes de droit, comme ces engagements de protection réciproque que s'échangent pour leurs navires Venise et les Ottomans.

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MEDITERRANEE
17e siècle

Titre

Les Méditerranées du XVIIe siècle

Titre Alternatif

Actes du VIe colloque du Centre international de rencontres sur le XVIIIe siècle

Créateur

Éditeur

Monopoli, Bari, 13-15 avril 2000. ; Tübingen : G. Narr,

Date

2002

Langue

Format

347 pages

Droits

Non libre de droits