Description

Roman italien non traduit: le texte propose une langue inventée forgée à partir du dialecte de Messine.
"Il s'agit de l'une des oeuvres cruciales de la littérature italienne du XXe siècle, d'une originalité tout à fait extraordinaire qui en fait un de ces monuments isolés, de ces chefs-d'oeuvre que je mettrais sur le même plan que L'Homme sans qualités de Musil, l'Ulysse de Joyce ou la Recherche proustienne. La critique ne s'y trompa pas dès sa parution en 1975 qui s'était faite attendre presque vingt ans, depuis qu'Elio Vittorini et même Italo Calvino avaient persuadé l'éditeur Mondadori à « commanditer » ce roman en 1958. La conscience que son auteur eut, sans cesse, de l'ampleur de la tâche lui incombant, explique le tracas de cette création, dont il existe aussi une version première intitulée I fatti della fera.
L'enjeu est témoigné aussi par l'attention incessante des critiques, y compris des psychanalystes (cf. Girolamo Lo Verso), et par une bibliographie critique imposante.

Le défi tient à la langue, une langue inventée de toutes pièces (d'où la rédaction si interminable) pour ce poème épique mythologique de la métamorphose. « le véritable protagoniste de ce roman, c'est sa langue. Il y a des mots nouveaux mais venus de loin, aussi savoureux que de l'espadon, qui frappent violemment en frétillant dans l'air comme des fauvichons qui mordent comme des requins » dit Pedullà. C'est une langue qui, conçue expressément pour le dessein de l'oeuvre, consiste dans un mélange entre l'archaïsme du grec ancien d'Homère (les critiques sont unanimes à trouver en ce roman un descendent direct et un parallèle complet – le dernier ? – du nostoï, la saga du retour des héros de la guerre de Troie) et le langage dialectal et entièrement déstructuré (y compris dans la syntaxe et la ponctuation) représentation du flux de la pensée et de l'imaginaire mythique du héros, le pêcheur illettré qu'est ‘Ndrïa Cambrìa, de surcroît perturbé de façon obsessionnelle par l'expérience de la guerre. D'où « ce merveilleux amalgame linguistique, croisement entre le dialecte, la langue cultivée et populaire, les néologismes. D'ailleurs D'Arrigo n'en finit jamais de se mesurer avec ce roman ardu et complexe, dans lequel il avait reconstruit un univers à la fois mythologique et symbolique fait d'un entrelacement mirobolant d'histoires (et d'Histoire), toutes construites grâce à un travail frôlant la manie fait de notes, de reconstructions et de plans. Ce fut une lutte corps à corps qui dura même après la publication et jusqu'à la mort de l'écrivain survenue en 1992 » (Maria Pia Ammirati)
[Extrait]
"La rème changeait : là, la ionienne descendait par Malte, ici la tyrrhénienne finissait de monter, elle achevait ses quatre heures.
Les vagues battirent un peu, comme si elles luttaient et ensuite elles s’amollirent, clapotant sombrement dans les cavités profondes. Ce bruit de torrent : tantôt un bruissement de vent gros et fin, comme un amas d’insectes enfermés dans un tunnel, tantôt un grondement de tonnerre lointain, étouffé, un éboulement abyssal de sable, ce bruit s’évanouit dans l’air, comme si le torrent lui-même s’éloignait de son lit ; et quand il s’évanouit complètement, ce bourdonnement qui anima aussitôt l’air contre son oreille en l’assourdissant presque, l’écho mystérieux de quelque chose d’autre qui venait du grand lit de la rème et n’était que silence, s’accrut de façon gigantesque dans l’obscurité comme venant d’un désert, avec la même grandeur, fatale et catastrophique, que la mer qui venait de mourir. Et comme, avec le silence, le sirocco parut lui aussi renforcé par la disparition de la mer, et qu’on pouvait maintenant l’entendre, ensauvagé, souffler avec ses petites flammes sans vent comme venant de myriades de foyers dispersés dans le sable noir, dans l’air âcre et fumeux, alors l’obscurité fut complète et redoublée par ce calme funèbre.
Après ça, il eut l’impression d’errer dans l’obscurité, où qu’il se tourne depuis cette marine, dans une infinie solitude, à travers eaux, terres et terres-et-eaux, confondues et indéchiffrables. C’est peut-être pour ça que lui parvint, tout près de lui, le cri sanglotant, comme des nourrissons en langes désommeillés, de bandes de fères qui transvolaient dans la mer vivante. Feignant d’être menacées par le retrait de l’eau : car, de cela aussi elles trouvent de quoi exciter leur allégresse, elles avaient aussitôt fui, jouant la comédie, avec de petits pleurs et de petits rires, comme devant un danger menaçant. Très lestes, de plongeon en plongeon, elles s’éloignaient vers la ligne des deux-mers, où, après qu’Ionienne et Tyrrhénienne jouent à changer de partenaire, la rème descendante devait déjà être repartie, rapide et écumeuse, vers Malte"
Stefano D’Arrigo, Horcynus Orca, extrait traduit par Antonio Werli dans son travail sur « Le détroit mythique de Stefano D’Arrigo, Sur un aspect de la traduction d’Horcynus Orca », Entre Charybde et Scylla. Art, mythes et société au pays des monstres oubliés, 2015.

Titre

Horcynus Orca

Éditeur

Rizzoli Editore

Date

01/11/2003

Langue

Format

1125 pages

Identifiant

EAN : 9788817872287

Droits

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