Description

[Extrait]
Francesco Biamonti, cher à Italo Calvino qui inventa pour lui la définition de « roman-paysage », a raconté la Ligurie paysanne et la Ligurie tourmentée de la Méditerranée.[...]
Les hommes, en revanche, sont des marins, avec le « mal du fer », le tourment qui accable durant les longues traversées, ou des contrebandiers d’armes (le vieux navire sur lequel Edoardo d’Attente sur la mer a embarqué, en direction des côtes de l’ancienne Yougoslavie, en contient une cargaison dans la cale), et même des contrebandiers d’hommes : des passeurs, comme Varì de Vent largue, qui conduit en France les gens qui fuient, les accompagnant de l’autre côté des Alpes maritimes, uniquement parce qu’ils n’ont plus rien à perdre. Ce sont des hommes réticents, laconiques, taciturnes, rarement disposés à échanger quelques mots : leurs dialogues banals ou, au contraire, solennels, ne révèlent pas le mystère de ceux qui les prononcent et ne servent pas à faire avancer la narration. Ce sont des hommes qui s’exilent du lieu où ils sont nés, auquel ils restent pourtant attachés de façon contradictoire – un lieu de frontière imprégné du pathos qu’implique la limite en elle-même, avec ses histoires d’expatriations et de commerces clandestins. La frontière est entre deux nations, l’Italie et la France, mais elle est surtout entre un arrière-pays agricole, parcimonieux, modeste, et un littoral touristique, détérioré par la spéculation immobilière, par l’illusion d’une vie facile. La frontière est également celle entre terre et mer – toutes deux inhabitables : impossible de s’y habituer, pour un marin. Et la mer est la Méditerranée, « un immense édifice de lumière », « presque un lac » aux rives « souvent ensanglantées », théâtre de guerres au cours des siècles. « Toutes les guerres d’Europe ont été des guerres civiles », dit Biamonti, et c’est justement l’Europe – son « naufrage » – le décor sur lequel se dessinent les moindres événements, intrinsèquement épiques et pourtant volontairement dépouillés de tout caractère épique, de ses romans, qui ont été prophétiques en imaginant la dérive à laquelle nous assistons aujourd’hui.

Titre

La Mer agitée de Francesco Biamonti

Créateur

Éditeur

in « Robinson », supplément de La Repubblica,

Date

3/10/ 2020

Format

Article de presse

Droits

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