Description

L'homme et la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

[Commentaire]
Ce poème illustre de manière explicite une correspondance paradoxale. Le poème, 14ème du recueil Les Fleurs du mal, se trouve dans la partie du recueil intitulée Spleen et idéal (spleen = dépression, ennui, mélancolie). Au travers de plusieurs poèmes, dont beaucoup sont devenus célèbres, Baudelaire définit le rôle du poète, celui de rendre compte des analogies entre les différents sens mais aussi entre l'univers sensuel et l'univers spirituel. Une esthétique dans laquelle « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Ses vers respectent les règles de l'accentuation et utilisent des figures de style dont le goût pour la provocation est indéniable. Puisque la vie n'est qu'extase et horreur, partage inégal entre Dieu et Satan, le poète la transfigure dans une contrée imaginaire où le désespoir et la beauté se confondent.
L'Homme et la Mer exprime, comme d'autres poèmes, la fascination de l'auteur pour la mer qu'il croit à notre image. Pour le faire ressentir au lecteur, Baudelaire a organisé le poème selon une structure en miroir où l'homme regarde son double comme un frère à la fois jumeau et ennemi.


Collection

Documents Mer

Titre

L'homme et la mer

Titre Alternatif

in section Spleen et idéal, recueil Les Fleurs du mal

Éditeur

Paris, Œuvres complètes, Michel Lévy frères, 1868
(Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1857, pages 208-211)

Date

21/06/1857

Langue

Couverture temporelle

Format

vol. I, p. 105

Droits

Non libre de droits