Description

[Extrait]
Les Muses sont traditionnellement des figures féminines qui inspirent, mais ne créent pas. Nos identités étant historiquement et culturellement construites par le masculin qui a valeur générale, la femme est, de fait, inscrite et circonscrite dans des représentations qui n’émanent pas d’elle. Elle est dite, décrite, traduite par un discours qui lui préexiste et sur lequel elle n’a pas de prise. Au contraire, les Muses que Renée Vivien propose pour inspiratrices sont créatrices et maîtresses de leur art. Par ailleurs, choisies dans l’Antiquité, ces voix de femmes qui, telle celle de Sappho, s’entretenaient directement avec les divinités, sont des trésors archéologiques qui rattachent à une mémoire des commencements. Entités poétiques devenues presque mythiques à force d’éloignement, figurations esthétiques librement sollicitées, elles acquièrent une autonomie exemplaire et imitable. [...]
De Charixéna à Nossis et Moïro, en passant par Corinne, Myrtis, Télésilla ou Kléobulina, “Et toutes celles-là dont le nom seul enchante9, écrit Renée Vivien, ces poétesses sont, par rapport aux VIIe-VIe siècles av. J.-C. de Sappho, soit antérieures – remontant parfois à une époque très archaïque comme c’est le cas de Charixéna –, soit contemporaines. Deux autres, du IIIe siècle av. J.-C., lui sont postérieures. Mais, comme toutes les précédentes, elles surgissent dans des cités et à un moment qui ne sont pas ceux de Platon. La première, Nossis de Locres, en Grande Grèce, se montre reliée, par delà les siècles, à l’île de Mytilène et à la Dixième Muse. Elle invoque pour son inspiration, Sappho, sa patrie et ses Muses. Elle célèbre un univers exclusivement féminin où ses compagnes humaines, parentes, amies, vivantes ou disparues, sœurs par l’esprit et le cœur, sont dans un dialogue constant entre elles et avec les déesses. Faisant pendant à ce talent lyrique, la deuxième, Moïro de Byzance, brille par son génie dans la science interprétative et le déchiffrement des textes. Athénée souligne qu’elle fut la première à comprendre la pensée des poèmes d’Homère10. Moïro a su innover dans l’herméneutique homérique et décrypter des signes qui, depuis des siècles, gardaient le secret de leur sens. Elle a su notamment dégager la signification cachée des colombes homériques dans un passage sibyllin de l’Odyssée11. Prenant Mnémosyne comme guide dans sa démarche heuristique, elle se révèle plus que savante : elle est inspirée.

Titre

Des Muses originelles dans l’œuvre de Renée Vivien

Titre Alternatif

in Muses et Nymphes au xixe siècle

Éditeur

© Presses Universitaires de Bordeaux

Date

2012

Langue

Format

p. 187-193

Source

Lire sur OpenEdition books (consulté le 14 mai 2023)

Droits

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