Description

[Extrait]


Ὀδύσσεια δευτέρα καὶ μεγάλη,
Τῆς πρώτης μείζων ἴσως. Ἀλλὰ, φεῦ,
ἄνευ Ὁμήρου, ἄνευ ἑξαμέτρων.
Publié par G. P. Savvidis avec deux autres inédits dans le collectif Cinquante ans de culture néo-h (...)
Pour éviter un apparat critique foisonnant, je renvoie d’emblée à Seconde Odyssée, Ulysse de Tennys (...)

Ce tristique ouvre « Seconde Odyssée » de Constantin Cavafis, le poème qui a servi à nommer le corpus dont il sera question dans ces pages. Composé en janvier 1894 par le poète alexandrin, il est longtemps resté parmi ses « poèmes cachés » avant d’être rendu public en 19851. Voici la traduction que j’en ai proposée :
Odyssée seconde et grande,
plus grande que la première peut-être. Mais, hélas,
sans Homère, sans hexamètres.
É. Stead, Seconde Odyssée, op. cit., p. 138-140.

C. Cavafis mesure l’envergure du sujet lors d’une adresse au lecteur qui invite à nouer l’entretien (« Odyssée seconde et grande, / plus grande que la première peut-être ») pour aussitôt battre en retraite lors d’un aparté, un constat désillusionné destiné à lui-même : « Mais, hélas, / sans Homère, sans hexamètres ». L’intuition d’une aventure par trop téméraire est marquée d’un blanc, d’une lacune métrique, d’une perte : plus l’entreprise embrasse l’horizon et l’espace, plus les mètres consacrés pour la dire reculent et s’amoindrissent. Ils ne se résument pas au seul hexamètre dactylique, le mètre regretté de l’épopée. Ils embrassent la formule métrique de La Divine Comédie, la terzina de Dante. Car ce tristique n’est pas tant un tristique qu’une terzina : bâti sur deux hendécasyllabes (vv. 1 et 3) comme les terzine dantesques, il renferme un décasyllabe (v. 2), un vers boiteux, tronqué, qui réalise tacitement ce que le vers 3 explicite : sans hendécasyllabes, tout comme sans hexamètres. La suite confirme que ses trois rimes ponctuelles n’auront aucun relais sonore : la terza rima, admirable chaîne rimique de La Divine Comédie, n’adviendra pas non plus. « Seconde Odyssée » s’ouvre donc sur une double faille. Comme pour mieux la cerner, le poème procédera par ensembles métriques inégaux, savamment disposés3. Ils bouderont la terza rima comme le premier tristique, mais son souvenir tout comme le chagrin de l’hexamètre les hanteront. C. Cavafis s’est donné des moyens savants et simples. Le blanc, la carence, l’absence, le regret incitent à une nouvelle poétique : le défi d’un grand sujet qu’il s’agit de porter dans la modernité.

Titre

Seconde Odyssée : poétique de l’énigme et du feu

Éditeur

Rennes, Presses universitaires de Rennes, La Licorne | 113

Date

2015

Langue

Format

N° 113, pp. 83-95

Source

Accéder sur OpenEdition Books (consulté le 19 ai 2023)

Droits

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