Description

[Éditorial]
“L’individu est tout, et le tout n’est plus rien. Que faire pour qu’il devienne quelque chose ? Comment, au royaume éclaté du moi-je, susciter ou réveiller des nous qui ne se payent pas de mots et laissent chacun respirer ? Qu’est-ce qui peut encore sceller une complicité, en dehors de la maison, du stade et du bureau ? Questions urticantes, mais que je ne crois pas intempestives.”
Régis Debray commence ainsi son dernier livre, Le Moment Fraternité[1]]Régis Debray, Le Moment Fraternité, Gallimard, 2009., sur ce troisième terme oublié de la devise républicaine. Que signifie une telle occultation ? Sommes-nous condamnés à l’isolement, à l’individualisme, à la disparition de tout sens en commun ? Que peut bien signifier partager des valeurs aujourd’hui, en dehors d’un univers sacré ?… “Là où il n’y a un nous, il y a une sacralité, et là où le nous se disloque, le sacré s’estompe”, remarque justement Régis Debray, qui souligne la fragilité du politique et le vide démocratique.
Notre ami Bruno Etienne, qui vient récemment de disparaître au terme d’une longue maladie, et dont la perte est pour nous irréparable, ne manquait jamais de fustiger cette idolâtrie du Moi, idéologie consumériste du “C’est mon choix !” qui désagrège le politique.
L’ami Bruno, auquel La pensée de midi rendra hommage dans un numéro spécial, n’a pas cessé de combattre cet affaissement démocratique au nom d’une belle et exigeante idée de la fraternité.
4 Comment renouer avec un projet collectif, avec un nous qui rassemble sans confondre, qui coalise des passions collectives sans dissoudre le singulier dans un Tout, à vocation totalitaire ? Equation à multiples inconnues qui exige de maintenir une tension fertile entre des exigences contradictoires : l’affirmation de sa propre liberté, la quête nécessaire de l’égalité et l’élan indispensable de fraternité, qui scelle et renouvelle le désir d’être ensemble, de vivre ensemble.
Régis Debray cite volontiers Julien Gracq : “« Point de monde », quel qu’il soit, sans un principe interne d’organisation, sans une sorte de « vouloir être-ensemble » au moins sommeillant, sans un point de fuite, même infiniment éloigné, vers lequel convergent les lignes de sa perspective. Nous le sentons d’instinct plutôt que nous ne pouvons le démontrer.”
6 La question d’un monde commun, qui suppose un “vouloir être-ensemble”, se pose avec une particulière acuité lorsque l’on s’interroge sur le devenir du monde méditerranéen. La guerre répétée entre Israël et Palestine a créé, en dehors de la brève parenthèse des accords de Madrid et d’Oslo, un profond refus de tout “vouloir être-ensemble” qui se propage dans l’ensemble du monde méditerranéen et crée une faille abyssale. Dès lors, quelle fraternité imaginer ? Le rêve méditerranéen se fracasse-t-il aujourd’hui sur le conflit israélo-arabe, comme il s’est fracassé hier sur la guerre d’Algérie ? C’est probable, au moins dans sa traduction politique. Mais il demeure une fraternité humaine, une fraternité inspirée par la musique et le chant, une fraternité mise en mots par la poésie qui n’est pas une incantation illusoire. Elle donne sens et inspire un possible élan pour demain.
7 Ecoutons ici ces “Chants d’Orphée”, dans ce numéro rare [*]Nous avons pour cette fois-ci, de manière exceptionnelle,… de La pensée de midi, ils nous aideront à remonter des enfers…"
Thierry Fabre.

Table des matières

Sommaire en ligne

Titre

Les chants d’Orphée. Msique & poésie

Titre Alternatif

in Revue "La pensée de midi", 2009/2

Éditeur

Paris, Actes sud

Date

2009/2

Langue

Format

N° 28, 208 pages

Source

Lire sur cairn.info (consulté le 27 juin 2023)

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