Description

[Résumé]
Dès ses trois premiers romans, Nicoletta Vallorani (née en 1959) se consacre sciemment à la révision des règles du roman policier et à sa contamination, convaincue que « la littérature de genre offre la plus grande liberté de détruire les règles, d’expérimenter de nouveaux langages, d’opérer des métissages entre les genres et les formes littéraires ». Ses trois romans représentent la tentative cohérente de réaliser ce programme de transgression progressive du genre : entre le premier et le troisième roman, le cadre passe de la vie des quartiers dégradés de Milan à la vie intime des personnages, du noir au rose à travers le giallo, de l’androgynie au féminin, du genre policier à une tentative masquée de pénétrer dans la littérature grâce à l’éversion des règles du genre. Petit à petit, l’intrigue policière devient un prétexte pour parler d’autre chose : de la maladie, de la mort, mais surtout de l’amour et de la maternité. Ce qui fait la particularité de Nicoletta Vallorani est donc l’attention qu’elle porte au langage et à la recherche formelle de solutions originales de la narration, mais surtout sa façon d’utiliser le cadre narratif du roman policier pour y faire entrer des thématiques (la société multiethnique, l’ambiguïté sexuelle, la maladie, la mort, le nouveau désordre amoureux) qui se greffent de façon parfois trop extérieure sur le giallo.
[Extrait]

S’immagina male un romanzo poliziesco dentro la cinta daziaria di Valenza o di Mantova, di Avignone o di Reggio Emilia.

Au début des années Trente, l’existence d’un polar italien semblait impensable. La société italienne, une société pour l’essentiel encore rurale, n’avait pas les caractères qui étaient considérés comme indispensables pour l’éclosion du roman policier : la plupart de ses habitants vivaient à la campagne ou dans de petites villes de province, alors que le polar avait besoin, pour être crédible, d’une grande ville industrielle, avec ses banlieues, son crime organisé, sa police corrompue ou héroïque, sa violence… Ce retard de la modernité, ainsi que la mainmise des écoles du roman policier d’importation anglo-saxonne (roman d’investigation d’un côté et narration hard boiled de l’autre) aura longtemps freiné le développement d’une école italienne du polar. Mais, à partir des années Trente, en grande partie à cause de la politique culturelle autarcique du gouvernement fasciste, il fallut bien créer un polar italien. Ce genre policier de la période du ventennio, dont les auteurs les plus connus sont Alessandro Varaldo et Augusto De Angelis, eut cependant une existence très courte, due à l’interdiction qui le frappa à la fin de la décennie : les romans policiers diffusaient l’image d’une société violente et délabrée, ce qui ne correspondait plus au discours rassurant et consensuel de la dictature.
Dans l’après-guerre, et jusqu’aux années soixante, les conditions furent réunies pour permettre la renaissance d’un polar italien. La société italienne avait rapidement rattrapé son retard industriel, et l’arrivée de la modernité signifia aussi le développement des grandes villes, les migrations internes, la perte des repères de la société rurale, l’éclosion du crime organisé, de nouvelles occasions d’enrichissement… bref, le cadre désormais classique de la littérature d’investigation. Un nouveau public existait aussi, prêt à consommer une littérature populaire capable de satisfaire ses nouveaux besoins. Mais jusqu’aux années soixante, les modèles anglo-saxons dominèrent la scène des publications du genre. Le plus souvent, les auteurs italiens étaient contraints de masquer leur identité sous des pseudonymes anglais ou américains pour répondre à l’attente d’un public pour qui le lien était indissociable entre la modernité, le polar et les rues de Manhattan. Pour ne citer qu’un chiffre, entre 1955 et 1960, cinquante-cinq collections de romans policiers voient le jour en Italie, toutes ou presque constituées de textes d’auteurs italiens sous pseudonyme anglais. Dans ces conditions de semi-clandestinité, une véritable école du polar italien ne pouvait se créer. Ce n’est donc pas un hasard si les grandes réussites du polar italien de cette période seront l’œuvre d’exploits individuels : Leonardo Sciascia d’un côté, Giorgio Scerbanenco de l’autre. Et, avec la mort de Scerbanenco, se concluait aussi, écrivait Benedetta Bini, « la brève histoire du giallo italien ».

Table des matières

Titre

Les femmes et le polar italien. Les trois romans policiers de Nicoletta Vallorani

Titre Alternatif

in Revue "Italies", Femmes italiennes, 1999/3

Créateur

Éditeur

Revue "Italies", Centre Aixois d’Études Romanes (CAER), Aix Marseille Université. (FR)

Date

1999/3
Mis en ligne sur Journals.open édition le 30/03/2010

Langue

Format

pp. 96-115

Source

Journals.openedition.org (consulté le 29 juin 2023)

Droits

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