Description

[Extrait]
Il m'a semblé intéressant dans le cadre de cet ouvrage, d’interroger la féminité orientale d’un point de vue oriental, chez un poète oriental contemporain, exprimant un dire féminin et une conception de l’amour qui ne sont certainement pas sans déterminer la réception de ses poèmes : il s’agit du poète syrien Nizâr Qabbânî (1923-1997), connu pour avoir brisé l’image traditionnelle de la femme arabe à travers une poésie en vers libre, au langage nouveau, proche de la langue parlée, et puisant ses images autant dans la vie quotidienne moderne que dans le riche patrimoine amoureux arabe.

Le discours amoureux véhiculé par la poésie arabe contemporaine chantée est, en général, ignoré ou déprécié par certains critiques et par la majorité des chercheurs universitaires qui le rangent dans la catégorie de l’article de presse. Or, je tenais à saisir l’occasion pour faire partie de ceux qui lui rendent justice, et dans ce sens, je fais volontiers miens les propos par lesquels Roland Barthes introduit ses Fragments d’un discours amoureux.

Le discours amoureux est aujourd’hui d’une extrême solitude. Ce discours est peut-être parlé par des milliers de sujets (qui le sait ?), mais il n’est soutenu par personne, il est complètement abandonné des langages environnants [Seuil (Tel Quel), Paris, 1977]

Ce discours constitue, à mon sens, l’un des rares espaces d’accueil d’une parole éminemment féminine, une parole à laquelle la particularité de la langue arabe confère de surcroît une féminité absolue puisqu’elle distingue le masculin du féminin de la deuxième personne. Si l’on rappelle, en outre, que les poètes arabes conventionnels (qu’ils soient médiévaux ou contemporains) s’adressent à la femme aimée au masculin, on mesurera la qualité du bond effectué par cette parole nouvelle, affranchie – textuellement – des rets d’une société orientale qui s’assigne la fonction d’éradiquer le désir, source de désordre dans la cité (fitna) [voir J. Eddine Bencheikh, « L’exigence d’aimer », Qantara, janv-mars 1996, p. 22-24.] une société où les attraits de la femme sont encore diabolisés [voir M. Chabel, le Dictionnaire des symboles musulmans, Paris, Albin Michel, 1995.], justifiant ainsi son effacement. Nizâr Qabbânî déclare dans un poème intitulé « Mon amour » :
Parce que dans ma cité, celui qui aime est fou
Parce que dans mon pays
On met l’amour au même rang que le hachisch et l’opium
Parce qu’on assassine en son nom
Qu’on décrète en son nom
J’ai décidé, ô mon amour
De faire des poèmes et de la folie mon métier !

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FEMME
LITTÉRATURE

Titre

Poésie arabe contemporaine chantée : fragments d’un discours amoureux, figures de femme orientale

Titre Alternatif

in L’Orient des femmes

Éditeur

Paris, ENS Éditions, collection Signes

Date

2002
Publication sur OpenEdition Books : 15 décembre 2022

Langue

Format

pp. 133-148 / 319 p.

Source

Lire sur books.openedition.org (consulté le 5 juillet 2023)

Droits

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