Description

[Résumé]
Alors que le terme « harem » évoque communément l’essence même de la vie des femmes dans les sociétés islamiques, l’institution du harem n’a été envisagée comme un objet d’histoire que de manière très récente. Les études consacrées au harem sultanien ont souvent eu pour effet, jusque là, d’évacuer toute perspective d’histoire sociale et politique, soit qu’elles se fondaient sur une problématique de représentations, de miroirs croisés entre l’Orient et l’Occident, soit qu’elles développaient une vision certes indigène, mais mythique, idéalisée, du harem comme institution matricielle et intemporelle.
[Abstract]
Although the word « harem » evokes the very essence of women’s lives in Islamic societies, the harem as an institution has only recently been considered as an object for historic investigation. Most studies of the sultanic harem excluded any consideration of social or political history : their approach looked at the reciprocal representations of the Orient and the West, or they were based on an indigenous, but nonetheless mythical and idealized vision of the harem as a matrix and an eternal institution.
[Extrait]
La question du harem, tant dans ses représentations et ses images que dans sa réalité historique, est un des points incontournables de toute histoire des femmes en islam et la question du harem sultanien, plus encore, constitue l'un des points nodaux de l'intelligibilité des sociétés islamiques. Le harem du souverain, en effet, s'avère toujours le plus important par le nombre, le plus prestigieux et le mieux protégé : il figure ainsi l'actualisation idéale de l'institution.
L'importance du problème s'énonce en réalité en termes d'essence. Le harem, et la polygynie en général, dissocient par essence les sociétés musulmanes des cultures chrétiennes occidentales et même si la Chine, par exemple, a connu des formules culturelles semblables, l'imaginaire occidental, jusque dans sa philosophie politique, s'est durablement imprégné d'images féminines inspirées de cet Orient musulman. On pourra citer à cet égard tant les personnages des « turqueries » théâtrales – la Roxane de Bajazet, par exemple – que les odalisques de la peinture orientaliste, au siècle dernier. Entre la « princesse », ou la reine mère, concubine ou épouse de sultan, et ces nonchalantes créatures que l'on n'imagine en rien soucieuses du politique, quelle logique et quel lien restituer ?
L'étymologie d'odalisque réfère à la chambre, oda en turc. Le harem, dans cette perspective, est donc ce qui paraît relever, par excellence, de la sphère privée, du domestique, de l'intimité même, aux antipodes de la sphère publique et politique. Pourtant, l'institution du harem est dans le même temps profondément liée, dans les perceptions occidentales, au fait politique. Dès le XVIe siècle, bien avant Montesquieu, le pouvoir sultanien est perçu par les Occidentaux comme un pouvoir despotique, le terme même référant d'ailleurs au pouvoir domestique du père de famille1. Un tel pouvoir est simultanément décrit comme autoritaire, arbitraire, violent, mais aussi fragile. C'est en ces termes que Machiavel, notamment dans Le Prince, oppose le modèle du royaume de France à celui du Grand Turc : un tel empire est fort et bien gardé sur ses marges, mais faible et fragile en son centre. Transposée à d'autres analyses, cette opposition marque la vulnérabilité d'un pouvoir politique constamment sujet à l'instabilité, à la merci de fréquents complots de harem, de révolutions de palais. Ainsi les femmes sont-elles très fortement présentes, par exemple, dans les relations d'ambassade, où on les voit agir comme mères, régentes, épouses ou simples favorites, soutenir tel parti contre tel autre, conclure des alliances politiques. En termes d'influence, leur rôle politique est assez clairement admis : la politique se jouerait au moins partiellement au sérail.

Table des matières

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Algérie
FEMME

Titre

Entrées dérobées : l’historiographie du harem

Titre Alternatif

in Revue "Clio", Dossier, Femmes au Maghreb, 1999/9

Éditeur

Revue "Clio", Femme, Genre, Histoire

Date

1999 / 9

Langue

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