Description

[Extrait]
Trois moments, trois phases principales de ce processus de mise à distance des Midis peuvent être identifiés : la fin des Lumières, le tournant du xixe au xxe siècle, et la reconstruction de l’Europe de l’après-1945. De la fin des Lumières à l’époque napoléonienne, en effet, un tournant semble pris, qui aboutit à la formulation confuse des premiers diagnostics d’une coupure traversant le continent européen. Il suffit de penser à Creuzé de Lesser, ce haut fonctionnaire du Premier Empire qui jugeait que « l’Europe finit à Naples, et même elle y finit assez mal. La Calabre, la Sicile, tout le reste est de l’Afrique2 ». C’est en 1806 que Creuzé publia son Voyage en Italie et en Sicile, un ouvrage qui constituait, ainsi qu’Hélène Tuzet l’avait noté autrefois3, une très violente charge contre l’Italie, dénigrée sur tous les tons ou quasiment, et spécialement l’Italie méridionale. L’auteur avait accompli une mission auprès de la cour de Sicile à Palerme en 1801. Il est même possible que cet acharnement de mauvaise foi ait freiné sa carrière administrative, Napoléon ayant, dit-on, jeté un œil à l’ouvrage et ayant été très mécontenté. Il n’y a pas de doute qu’il faille voir là un jalon de la mise à distance du Mezzogiorno italien, même si l’écho de ce texte fut très modeste dans un premier temps, au début du xixe siècle, et même si l’on peut, sans aucun doute, lui trouver un certain nombre de précurseurs. Pendant le decennio francese, le Sud de l’Italie devait connaître, on le sait, un épisode de modernisation inachevée, dont la portée a été âprement discutée par les historiens depuis Carlo Botta et Benedetto Croce4. Sous Joseph Bonaparte et Joachim Murat, ce sont moins les modalités de la réforme (féodalité, éducation, divorce) qui ont compté que l’expérience vécue, et pour tout dire manquée, des personnels civils et militaires propulsés dans cette partie de la péninsule. La sanglante contre-révolution de 1799 puis la guérilla antifrançaise de 1806 et le brigandage, qui ne fut jamais vraiment éteint, ont certainement laissé un lourd héritage et ont contribué à placer ce Sud dans une sorte d’éloignement barbare, rebelle, et inassimilable. Ce fut vrai non seulement dans le regard des Européens témoins de cette résistance inattendue des montagnards des Calabres ou des confins des États pontificaux, mais aussi dans la manière de voir des élites issues des autres régions italiennes, et particulièrement celles qui fournissaient le gros des fonctionnaires et magistrats déplacés dans la péninsule, les Piémontais. Les mêmes qui devaient être, un demi-siècle plus tard, les principaux agents de cette Unification que le Sud accueillit mal, et qui coûta une quasi-guerre civile dans les années 1860-1870.

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Titre

Le Midi comme énigme historique

Titre Alternatif

in L'invention des midis

Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg, Collection Sciences de l'histoire

Date

2015
19/09/2019

Langue

Format

pp. 5-17, 218 pages

Source

Openedition books (consulté le 7 mai 2024)

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